[ARTICLE DU PARISIEN] Retraites : «Malgré le 49.3, nous nous battrons jusqu’au bout», affirme Laurent Berger

laurent berger

Après l’annonce d’Edouard Philippe d’utiliser le 49.3, le secrétaire général de la CFDT se dit inquiet pour le débat démocratique et espère que la réforme des retraites évoluera vers plus de justice sociale avant d’être adoptée.

Quelques heures après le discours d'Edouard Philippe ce samedi annonçant le recours au 49.3, les réactions fusent. Les députés d'opposition ont d'ores déjà annoncé le dépôt de motions de censure, plusieurs centaines de manifestants défilent devant l'Assemblée. Quid des partenaires sociaux? En pleine conférence sur le financement de la réforme des retraites, ils se sont vus couper l'herbe sous le pied.

Mais comme nous l'a confirmé Laurent Berger, ils s'y attendaient. Le secrétaire général de la CFDT, pourtant favorable à un système universel des retraites, regrette surtout le manque de précision sur « plusieurs points clés » et le manque de « justice sociale ». Il attend notamment du Premier ministre qu'une réelle prise en compte de la pénibilité soit intégrée dans le texte.

Comment réagissez-vous face à la décision du gouvernement de recourir au 49.3 ?

LAURENT BERGER. Même si on le pressentait, qu'on ne puisse pas, sur un sujet aussi fondamental que la réforme des retraites, mener le débat à terme est désastreux pour la démocratie. J'ajoute que les citoyens, eux, n'y comprennent plus rien. Maintenant, il nous faut trouver d'autres moyens pour que cette réforme intègre les éléments de justice sociale que nous réclamons.

Du fait de ces 40 000 amendements déposés, le débat s'enlisait…

Oui, il y avait enlisement, et le 49.3 répond, justement, à la volonté d'en finir avec le fait de passer des heures pour revoir un point de détail ou une virgule. Mais qu'on soit incapable de mener un débat serein ou de fond sur un sujet aussi essentiel n'est pas un bon signal en termes de démocratie.

A ce stade, quels sont les points qui, selon vous, restent inacceptables dans cette réforme ?

Le texte n'est pas assez précis sur plusieurs points clés. Tout d'abord, pour les nombreux agents publics, souvent de catégorie C et travaillant notamment dans les collectivités locales, qui n'ont pas ou peu de primes (moins de 20 %) dans leur rémunération. Dans le texte actuel, le nouveau calcul des pensions à venir pour les agents publics intègre les primes, qui représentent souvent une part non négligeable du traitement des fonctionnaires. Mais pour les agents publics qui touchent peu de primes, la CFDT revendique qu'il y ait une clause de sauvegarde leur garantissant à terme un niveau de pension au moins égal à ce qu'il est aujourd'hui.

Et en ce qui concerne la pénibilité ?

Ce texte ne donne pas non plus suffisamment d'éléments sur la réparation des pénibilités subies, qui doivent selon nous donner lieu à une possibilité de départ anticipé sur la base des quatre critères de pénibilité reconnus afin de répondre aux inégalités d'espérance de vie causées par le travail. Pour l'heure, le texte est trop évasif, même si je note qu'il y a eu des avancées sur la prévention et la reconversion, et même si le Premier ministre a dit qu'il n'était pas fermé à ce que ces points évoluent.

Qu'en est-il des pensions de réversion ?

Nous demandons notamment que les droits de réversion soient accordés aux couples non mariés mais aussi pacsés.

Que réclamez-vous pour enrichir le texte ?

Nous demandons au Premier ministre d'améliorer le texte avec une réelle prise en compte de la pénibilité mais aussi la sécurisation des transitions. On demande aussi que la pension minimale soit fixée à 85 % du smic dès 2022 et non pas à partir de 2025. En matière de droits familiaux, la majoration de pension par enfant doit être forfaitisée ou à tout le moins définir un plancher pour profiter davantage aux basses pensions. La partie de cette majoration attribuée au titre de la maternité doit être accrue et une majoration supplémentaire pour enfant handicapé doit également être intégrée.

Et si vos demandes ne sont pas prises en compte ?

Nous dirions que cette réforme est une occasion gâchée d'instaurer un système universel des retraites avec davantage de justice sociale et d'égalité. Il reste encore quelques jours pour que le gouvernement précise son texte et intègre certains éléments à son projet. Nous allons continuer de nous battre, même s'il est clair que ce 49.3 renvoie la balle au gouvernement. Rien ne l'empêche d'insérer nos recommandations à son texte, en première ou en deuxième lecture, à l'Assemblée comme au Sénat. La bataille n'est pas finie pour nous mais change de nature. Nous nous battrons jusqu'au bout.

Vous sentez-vous trahi ?

Ce n'est pas le sujet. Le problème est que la représentation nationale n'a pas été en capacité d'aller au bout des débats. Je suis inquiet sur ce que ça dit du débat démocratique et politique, mais surtout inquiet sur le contenu du texte. Ce 49.3 escamote le débat.

Pourriez-vous appeler à nouveau à une mobilisation ?

Nous allons continuer à nous battre sur le contenu du texte. Nous voyons bien que l'absence, dans le projet, d'avancées sur la réparation de la pénibilité est e n très grande partie liée au Medef. Nous allons continuer de l'interpeller et de le mettre face à ses responsabilités. La CFDT veut un système universel de retraites juste, ce n'est pas le cas actuellement. Le gouvernement vient de faire le choix du 49-3, mais pas encore celui de la justice sociale.