Interview Exclusif : pour Laurent Berger (CFDT) "il faut une trêve, chacun aspire au repos"
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Publié le 19/12/2019 à 22h14
Il est l’homme vers qui les regards se tournent. Mais détient-il les clés d’une sortie de crise ? Laurent Berger, le patron de la CFDT, passe de réunions multilatérales aux plateaux télé, en renouvellant ses voeux de justice sociale. Entretien, jeudi soir, au sortir de Matignon.
Vous sentez qu’on est plus proche d’un geste d’ouverture que d’une rupture avec la CFDT ?
Il y a une volonté d’ouverture dans le ton, dans les paroles, avec des groupes de travail installés sur le minimum contribubif, sur les retraites progressives pour voir comment aller plus loin…
La réunion d’aujourd’hui (jeudi 19 décembre ndlr) a montré un Premier ministre qui souhaite discuter, il faut le dire. Mais il reste des points compliqués, comme la pénibilité où ne sont pas toujours reconnus tous les critères physiques : gestes et postures, charges lourdes, gestes répétitifs…
Ce qui prive tout un tas de travailleurs de bénéficier de ce dispositif de pénibilité, pourtant essentiel dans un système universel. On voit que le Premier ministre est ouvert pour discuter de l’équilibre, mais il insiste fortement sur le besoin de mesures d’équilibre dès 2022. Nous, on conteste cette idée-là. On a ce point de désaccord.
On a pu vous reprocher de vous asseoir sur cet impératif d’équilibre budgétaire…
Non, la CFDT a toujours été soucieuse de l’équilibre de ce système des retraites par répartition. On l’a montré en 2003, 2013, 2015. Mais soyons clairs : le déficit annoncé n’est pas du même niveau.
Et, surtout, ce n’est pas un problème de dépenses mais de recettes. Or, celles qui manquent viennent des pouvoirs publics qui décident de moins financer le système des retraites. Et il faudrait demander aux gens de travailler plus longtemps ? C’est ça la réalité.
Tous les économistes, y compris ceux qui ont inspiré le système universel, le disent : il n’y a pas besoin de mesures d’équilibre de court terme. Il y aura besoin d’une gouvernance du système qui permette un équilibre, mais ce sera du moyen et long termes.
Cette mesure de l’âge pivot est injuste : elle conduira le travailleur de l’agro-alimentaire qui devait partir à 62 ans en 2024 à faire un an de plus pour pouvoir bénéficier de sa retraite pleine et entière. C’est très concret en termes d’impact et c’est ce que nous condamnons parce que c’est une mesure aveugle.
Ce qui est en train de se faire, c’est un système universel dans 17 ans et une réforme paramétrique un peu idiote tout de suite !
Comment voyez-vous la suite ?
Il faut d’abord une trêve et, là-dessus, sortir de l’hypocrisie collective. Il faut que les gens puissent se déplacer et faire les fêtes là où ils l’entendent, que les familles, les amis se retrouvent. C’est un impératif pour faire baisser la tension.
Et puis, vous ne croyez pas quand même pas qu’il va y avoir des manifestations massives dans les périodes qui arrivent ? Chacun aspire au repos. Par contre, en janvier, la CFDT va faire pression auprès des parlementaires et se mobilisera sur des modalités qui seront définies début janvier pour influer auprès du gouvernement.
Moi, ce qui me rend amer, c’est que nous sommes pour un système universel, plus juste et plus lisible, mais ce qui est en train de se faire, c’est un système universel dans 17 ans et une réforme paramétrique un peu idiote tout de suite !
La promesse du président de la République n’était pas celle-ci. Je trouve ça hypocrite de dire qu’il faudra bien travailler plus longtemps. Peut-être… Mais d’abord, pas tous forcément, pas forcément tout de suite et puis, c’est déjà prévu dans la réforme Touraine avec un allongement de la durée de cotisations jusqu’en 2035.
Craignez-vous que la base CFDT ne vous suive pas ? Vous savez, on sort d’un bureau national. Je rencontre des militants toutes les semaines… La CFDT est très cohérente. Elle veut un système qui réduise les inégalités actuelles, car contrairement à ce que disent certaines organisations syndicales, le système actuel n’est pas juste. Il n’y a pas de divisions internes. La CFDT Cheminots regarde les propositions qui la concernent et c’est à elle que revient la décision car nous sommes une organisation confédérée avec une part d’autonomie.
Vous n’avez pas peur de réveiller de vieilles fractures au sein de la CFDT ? Non, ce n’est pas toujours simple de trouver des compromis, mais ma seule boussole, c’est un système universel des retraites et la justice sociale. Si le gouvernement retirait son âge pivot, le frein serait levé, ce qui ne veut pas dire qu’on ne se battrait pas sur le reste. Car là on creuse les inégalités pour les corriger en 2037. Ceux qui vont payer, c’est ceux qui ont commencé à travailler jeune.
Coupures d’électricité, usagers à cran… Vous craignez les dégâts d’un point de vue sociétal ? Oui, c’est pour cela que j’appelle à une trêve. Quant aux coupures d’électricité, je les condamne, c’est inacceptable.
On vous accuse parfois d’être dans un jeu de rôle avec le gouvernement pour créer un point de fixation sur l’âge pivot et faire passer le reste… Ce sont des foutaises, des bêtises. C’est insultant même, parce que je ne suis pas du tout un comédien et si c’était un jeu de rôles, vous savez, l’issue aurait été trouvée aujourd’hui ou même un peu avant.
Propos recueillis par Florence Chédotal