Le handicap est une cause importante de discriminations en France, le sexisme en est une autre. Si ces deux problématiques sont bien connues, une autre l’est beaucoup moins : la double discrimination que subissent de nombreuses femmes en situation de handicap.
« Très souvent, quand on parle de discrimination, on conçoit qu’il n’y ait qu’un seul critère de discrimination, celui qui est le plus visible », explique Isabelle Dumont, chargée de communication et de développement associatif chez Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA). Or, les femmes handicapées sont aussi et d’abord: des femmes. Souvent, les discriminations liées au genre viennent s’ajouter aux discriminations liées au handicap. Un « double système d’inégalités » qui reste pourtant peu étudié dans l’hexagone.
« En France, les problématiques spécifiques des femmes en situation de handicap sont les grandes oubliées des politiques publiques », estime l’APF France Handicap, association de défense et de représentation de personnes handicapées, dans un plaidoyer sur les femmes en situation de handicap.
Les combats contre la discrimination liée au handicap seraient menés « au nom de personnes », sans égard pour le genre. Un « phénomène d’asexualisation » où les femmes en situation de handicap souffrent bien davantage de discriminations que leurs homologues masculins.
Un accès à l’emploi restreint
A commencer par l’emploi : « Dans l’imaginaire collectif, la personne handicapée qui travaille est un homme », affirme Isabelle Dumont. « On considère que l’homme en situation de handicap doit être autonome, qu’il doit avoir sa place dans la société – parce que c’est un homme. Le souci premier de la femme, elle, n’est pas d’être une force vive de la nation. On considère que pour elle, l’emploi salarié est une occupation plutôt qu’un besoin. »
En outre, « les femmes en situation de handicap sont considérées – encore plus que les femmes en général – comme plus sensibles et vulnérables, moins capables, moins rentables », souligne de son côté le plaidoyer de l’APF France Handicap.
Des stéréotypes sexistes qui affectent certes toutes les femmes, valides comme handicapées – mais encore davantage les dernières. Le taux d’inactivité chez les femmes en situation de handicap s’élève ainsi à 55% en France, selon un rapport sur l’emploi des femmes en situation de handicap publié par le Défenseur des droits en 2016. Il n’est que de 32% pour l’ensemble des femmes entre 15 et 64 ans dans l’hexagone. Et de 45% pour les hommes handicapés.
L’écart persiste malgré le fait que les femmes en situation de handicap soient généralement plus diplômées que les hommes. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un diplôme supérieur n’augmente guère leurs chances sur le marché du travail. Au contraire, le taux d’accès à l’emploi des personnes handicapées qui disposent d’un diplôme supérieur est de 66,9% pour les hommes – contre 22,8% pour les femmes, selon le rapport.
Qui plus est, les filières ouvertes aux personnes handicapées, déjà limitées dans leur ensemble, relèvent majoritairement des secteurs dits « masculins ». L’accès à la formation professionnelle serait également restreint pour les femmes handicapées. « La formation en alternance semble s’adresser en priorité aux hommes en situation de handicap », selon le plaidoyer de l’APF France Handicap.
A cela s’ajoute une précarité de l’emploi plus importante pour les femmes en situation de handicap. Près de la moitié des travailleuses handicapées est embauchée à temps partiel (47%), contre seulement 16% des hommes.
Violence économique et dépendance financière accrues
« Il y a ce phénomène des violences économiques qui sont les mêmes pour les femmes handicapées que pour les femmes valides », explique Isabelle Dumont, à savoir les écarts de salaire entre hommes et femmes, les carrières freinées par la maternité ou encore les pertes de revenu en cas de divorce. Mais « quand le handicap vient s’ajouter là dessus, ça amplifie encore les problèmes. »
Du fait de ces discriminations, « les femmes en situation de handicap sont fortement touchées par la précarité », estime ainsi l’APF France Handicap dans son plaidoyer. Dans une résolution sur la situation des femmes handicapées de 2018, le Parlement européen parlait même d’une « féminisation de la pauvreté ».
Avec une allocation adulte handicapé (AAH) qui se situe sous le seuil de la pauvreté, les personnes handicapées vivant seuls peinent à couvrir leurs besoins de base. Or, la majorité des femmes en situation de handicap ayant répondu à l’enquête d’APF France Handicap étaient justement célibataires et sans emploi.
Pour les personnes vivant en couple, la situation n’est pas forcément meilleure car l’AAH dépend des revenus du conjoint. Pour de nombreuses femmes en situation de handicap, cela crée une « dépendance financière inadmissible », estime l’APF France Handicap.
Selon une enquête menée par l’association auprès de femmes en situation de handicap en 2019, seulement 15% des femmes handicapées vivant en couple ne se sentaient pas dépendantes de leur conjoint. Cette dépendance accrue « ne permet pas la liberté de choix du lieu et du mode de vie, fait renoncer aux soins, vulnérabilise » les femmes en situation de handicap.
Et elle ramène à une autre problématique de taille : celle de la violence contre les femmes handicapées.
Un risque de subir des violences accrue pour les femmes en situation de handicap
Le risque de subir des violences physiques ou sexuelles de la part d’un (ex)partenaire est bien plus élevé pour une femme handicapée que pour une femme valide. En France, 34% des femmes en situation de handicap ont subi de telles violences, contre 19% pour les femmes sans handicap, selon un guide pratique sur les violences faites aux femmes en situation de handicap élaboré par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) en 2019.
La dépendance aux proches augmente justement le risque de subir des violences pour les femmes handicapées. Une difficulté plus prononcée de se défendre et les difficultés liées aux déplacements les rendent également plus vulnérables, selon l’APF France Handicap.
L’année 2020 aura par ailleurs été particulièrement difficile pour les femmes handicapées. Chez FDFA, qui a crée et anime l’Écoute Violences Femmes Handicapées, « nous avons constaté qu’il y avait eu beaucoup moins d’appels pendant le premier confinement. En revanche, après la fin du confinement, on a eu une explosion du nombre d’appels », raconte Isabelle Dumont. La faible sollicitation pendant le confinement semble s’expliquer selon elle par « l’incapacité de s’échapper ou de s’isoler pour passer un coup de fil » pour beaucoup de femmes en situation de handicap.
« Maintenant, pendant ce deuxième confinement, on a plus d’appels pendant nos plages d’ouverture », avance Isabelle Dumont. « Même si ce ressenti devra être confirmé par les chiffres définitifs ». En cause, suppose-t-elle, des règles moins strictes et un télétravail ou chômage partiel moins généralisé. « Les personnes violentes, en général les conjoints, peuvent quitter le domicile pour aller travailler, ce qui permet aux personnes en difficulté de nous appeler plus facilement. »
Devant la justice, les femmes en situation de handicap peinent à se faire entendre, selon l’APF France Handicap. « En plus du manque d’accessibilité des locaux et de l’absence de personnels qualifiés tels qu’un interprète en langue de signes par exemple, elles sont souvent confrontées à de l’incompréhension de la part de la police et de la justice, voire à du mépris. » Des violences « qui viennent s’ajouter à celles subies. »
Car outre des discriminations et violences accrues, les femmes en situation de handicap souffrent de nombreux stéréotypes. Parmi eux, la perception qu’elles seraient moins capables de faire des jugements ou de prendre des décisions autonomes. « Elles ne sont pas crues, on ne les prend pas au sérieux, elles sont infantilisées », souligne l’APF France Handicap dans son plaidoyer.
Femme handicapée, femme « incomplète »
Autre préjugé notable, les femmes en situation de handicap sont souvent considérées comme des femmes « incomplètes », des êtres asexués et non pas de « vraies femmes », selon l’APF France Handicap. En conséquence, elles n’auraient pas de vie amoureuse ou sexuelle et seraient incapables de s’occuper d’un enfant.
« Mon sentiment personnel sur cette question, c’est qu’on va plaindre l’homme handicapé – mais on va aussi lui trouver beaucoup de qualités, de courage, de sur-virilité même », explique Isabelle Dumont. « On va dire, ces pauvres hommes, ils ont des besoins, c’est une pulsion naturelle. Alors qu’une femme handicapée, on va plutôt lui demander pourquoi elle souhaite être mère, pourquoi elle voudrait avoir une vie sexuelle épanouie – elle n’en aurait pas besoin. »
Vouloir être mère en tant que femme handicapée relèverait d’un « véritable parcours du combattant », selon l’APF France Handicap.
Mais que faire pour remédier à ces discriminations et violences ? Pour le moment, les études sur les discriminations envers les personnes handicapées ne prennent pas ou très peu en compte la dimension du genre.
Dans l’absence de statistiques parlantes, difficile de lutter contre les difficultés spécifiques que subissent les femmes en situation de handicap. Le plus important, selon Isabelle Dumont, serait donc d’abord « de reconnaître que l’égalité femmes-hommes concerne aussi les femmes en situation de handicap. »
Par : Magdalena Pistorius | EURACTIV.fr