[OBSERVATOIRE DES INEGALITES] Handicap et inégalités : les principales données
Les statistiques sur les inégalités subies par les personnes handicapées sont rares. Elles montrent une situation qui leur est très défavorable, que ce soit en termes de niveau de vie, d’éducation, d’emploi ou de participation à la vie sociale. Le tour de la question par Gérard Bouvier, de l’Insee. Extrait du webzine variances.eu.
Le plus souvent, l’analyse des écarts entre les personnes handicapées et non handicapées se limite à la question de l’emploi. Or, même si l’on manque cruellement de données et d’analyses, nous pouvons tenter de dresser un panorama plus large des éléments dont nous disposons dans l’ensemble des domaines de la vie en société. Des niveaux de vie à l’emploi, en passant par la scolarisation, les inégalités sont conséquentes. Et les processus de stigmatisation demeurent.
Lorsqu’elle est possible, la comparaison des niveaux de vie fournit un bon panorama des situations inégales entre des groupes de personnes. En effet, le niveau de vie permet de mesurer les inégalités monétaires entre actifs et inactifs, entre personnes seules, couples et familles, etc. Il prend aussi en compte les mécanismes de redistribution. Une analyse sur les niveaux de vie des personnes handicapées, unique jusqu’à présent, a été publiée [1] en 2017, sur des données de 2010. […]
Cette approche a des limites. Le niveau de vie est apprécié au niveau du ménage (toutes les personnes d’un ménage ont le même niveau de vie) alors que les limitations fonctionnelles sont bien sûr individuelles. L’enquête ne permet pas par ailleurs de croiser de trop nombreux critères (notamment âge par niveau d’éducation, type de limitation), et ne permet de calculer que des moyennes pour des groupes parfois assez hétérogènes. Enfin, l’enquête n’a comporté qu’un nombre restreint de questions permettant de décrire les handicaps des personnes : limitations fonctionnelles par type (visuel, auditif, etc.) avec deux niveaux de « gravité » (limitations légères /sévères), plus une question sur la reconnaissance administrative du handicap. Ces catégories sont loin de couvrir la grande variété des situations de handicap [2]. Cette étude fait malgré tout apparaître des écarts significatifs.
Si l’on considère toutes les personnes qui déclarent soit une reconnaissance administrative du handicap (ouvrant droit à des prestations), soit une ou plusieurs limitations, même « légères », leur niveau de vie médian annuel [3] était de 18 500 euros en 2010, contre 20 500 euros pour l’ensemble des adultes de 15 à 64 ans. Le niveau de vie médian des personnes qui ne déclaraient qu’une limitation légère, les plus nombreuses, était de 19 700 euros. A contrario, les personnes ayant une reconnaissance administrative et une limitation sévère avaient un niveau de vie médian de 14 800 euros et le revenu maximal des 25 % les plus pauvres était de 11 500 euros.
Le type de limitation induit une forte hétérogénéité en matière de revenus. Les personnes déclarant une limitation auditive légère avaient un niveau de vie médian de 21 500 euros, ce qui est supérieur à la moyenne : il s’agit de personnes plus âgées et de catégories socioprofessionnelles favorisées, vivant en couple, d’autant que ces dernières détectent plus facilement leur surdité. Si les personnes déclarent une limitation mentale sévère ou plusieurs limitations sévères, le niveau de vie médian tombe en dessous des 15 000 euros. L’indicateur pertinent pour comprendre leur situation est le taux de pauvreté qui dépassait les 30 % (contre 12,7 % en 2010 pour les personnes sans handicap [4]). Encore faut-il remarquer que ces niveaux et taux ne prennent pas en compte les personnes vivant en institutions, alors que de telles limitations conduisent fréquemment à ne plus pouvoir vivre dans un « ménage ordinaire ».
Emploi : un constat assez noir
Le ministère du Travail suit la situation des personnes handicapées en termes d’emploi en privilégiant une approche administrative. Les statistiques portent de ce fait surtout sur des personnes dont le handicap est reconnu administrativement. La dernière publication dresse un constat assez noir. En se limitant aux personnes d’âge actif (15-64 ans), 66 % des Français sont en emploi, un taux qui tombe à 37 % pour les personnes reconnues handicapées, selon l’Insee en 2019 [5]. Et si 28 % de la population est inactive [6], c’est le cas de 56 % des personnes reconnues handicapées. Selon une étude du ministère du Travail, « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire en tenant compte du sexe, de l’âge, du diplôme et des conditions de logement, les personnes reconnues handicapées ont une probabilité d’être en emploi plutôt qu’inactives ou au chômage 3,6 fois plus faible que les personnes non handicapées (données 2015) [7].
Les personnes reconnues handicapées et occupant un emploi sont plus fréquemment des ouvriers ou employés, et plus souvent à temps partiel. Globalement, le taux de chômage est le double de celui de la population d’âge actif. La part des chômeurs depuis plus de trois ans est importante parmi les chômeurs handicapés et le motif de leur perte d’emploi est fréquemment (30 %) lié à un problème de santé ou de handicap.
Altérations fonctionnelles et accès aux études
La variété des situations de handicap et le souci de précision de l’enquête Handicap-Santé de 2008-2009 [8] avaient conduit à définir des indicateurs associant une déficience (être aveugle par exemple) et une limitation fonctionnelle (ne pouvoir lever un bras) : on parle alors d’« altération fonctionnelle ». On distingue les difficultés à effectuer des mouvements (altération motrice), à entendre ou voir (altération sensorielle) et à comprendre (altération cognitive). Jusqu’à l’âge de 50 ans, ces altérations n’affectent qu’une minorité de personnes (5 % à 10 %) avec peu de différences de la fréquence suivant le type d’altération et le sexe. Après 50 ans, la fréquence des altérations motrices augmente vite avec l’âge, les femmes étant plus touchées. Vers 85 ans, celles-ci sont majoritairement affectées. Le grand âge se caractérise par une forte fréquence des altérations fonctionnelles (plus de 80 % pour les femmes centenaires, il n’y a plus assez d’hommes pour établir des statistiques). Le phénomène est sensiblement le même pour les altérations cognitives, à ceci près qu’elles sont beaucoup moins fréquentes (de l’ordre de 30 % à 90 ans).
Être affecté d’une altération fonctionnelle diminue fortement la probabilité d’avoir atteint un niveau d’études élevé chez les jeunes adultes. Cela se conçoit dans le cas d’altérations cognitives : le taux d’accès aux études supérieures est ainsi quatre fois moindre parmi les personnes âgées de 25 à 39 ans qui présentent une altération cognitive, par rapport à celles qui n’en présentent pas. Mais le rapport est encore de plus de deux dans le cas des altérations motrices, ce qui traduit la difficulté à mener des études avec un handicap moteur, en raison des problèmes d’accessibilité notamment. Ces écarts diminuent chez les personnes plus âgées. Cela tient au fait que, d’une part, l’accès aux études supérieures était de toute façon moins fréquent pour les anciennes générations, et que, d’autre part, les altérations surviennent avec l’âge, donc souvent après la fin des études, et n’ont donc pas eu d’effet sur leur formation.
Les restrictions subies par les personnes handicapées dans l’accès aux études s’observent dans de nombreux autres domaines : accès à l’emploi, isolement social (en particulier le fait de vivre ou non en couple), accès aux loisirs, dont les vacances, par exemple. […]
Les handicapés se déclarent discriminés
Il est usuel de s’interroger sur la part des discriminations quand on mesure des inégalités. Selon le Défenseur des Droits [9], en 2018 (comme en 2017), les saisines pour discrimination qui lui sont adressées sont, par ordre d’importance et par critère, liées au handicap (23 %), à l’origine (14 %), puis à l’état de santé (11 %). Par ailleurs, l’enquête Handicap-Santé de l’Insee a permis pour la première fois de documenter statistiquement [10] l’ampleur des discriminations liées à l’état de santé ou de handicap ressenties par les personnes vivant en France. Un peu plus de 6 % des personnes de 18 ans et plus vivant dans un logement ordinaire déclarent ainsi avoir subi des comportements stigmatisants au cours de leur vie en raison de leur état de santé ou de handicap : moqueries, mises à l’écart, traitements injustes ou refus de droit. Les personnes ayant des problèmes de santé ou de handicap déclarent beaucoup plus fréquemment que les autres y être confrontées. Les plus jeunes sont particulièrement concernés, le milieu scolaire s’avérant un lieu où l’on discrimine beaucoup. Cette « sur-déclaration » est bien spécifique aux personnes handicapées, comme l’ont montré d’autres analyses où sont prises en compte d’autres caractéristiques sociodémographiques connues pour être associées à des discriminations. Enfin, l’ampleur des discriminations ressenties varie selon la nature des altérations fonctionnelles subies et selon la façon de percevoir subjectivement son état de santé. En particulier, les personnes ayant des altérations fonctionnelles cognitives sont nettement plus nombreuses que les autres à se déclarer victimes de comportements stigmatisants. […]
Le handicap est un sujet complexe, il existe de nombreuses façons de définir et de compter les personnes handicapées. Toutefois, une constante ressort clairement : quelles que soient les définitions, les personnes handicapées subissent des inégalités marquées, dans tous les domaines, dont l’emploi et l’accès à l’éducation. Les personnes handicapées sont encore fréquemment sujettes à des discriminations ou comportements stigmatisants, ce qui aggrave leur « situation de handicap ».
Une définition complexe du handicap |
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Décrire les inégalités qui affectent les personnes en situation de handicap suppose qu’il y ait une distinction claire entre personnes handicapées et non handicapées. Or, la définition du handicap est plus complexe que l’âge, le sexe ou l’origine migratoire par exemple. Elle repose sur des critères portant sur l’état des personnes qui comprennent une part plus grande de subjectivité. Pour établir des statistiques, on peut interroger les personnes sur l’appréciation qu’elles portent sur leur santé, ou bien par rapport à une liste de limitations physiques ou mentales qu’elles peuvent rencontrer dans la vie quotidienne. Une autre méthode consiste à s’appuyer sur la reconnaissance administrative (par exemple une carte d’invalidité ou l’octroi d’une allocation adulte handicapé). |
Gérard Bouvier, chef de projet statistique de l’enquête Handicap-Santé à l’Insee.
Extrait de « Les inégalités affectant les personnes en situation de handicap », article paru le 14 octobre 2019 sur le site variances.eu.