[CFDT] Logement : le 26ème rapport de la Fondation Abbé Pierre sur le mal logement est paru. Quels sont ses principaux enseignements et prospectives ?
Onglets principaux

Deux expressions reviennent fréquemment depuis quelques mois pour qualifier l’impact de la crise sanitaire sur les conditions de logement : double peine pour ce qui concerne les personnes sans abri ou mal-logées ; bombe à retardement pour les ménages modestes et, par extension, pour tous les acteurs du secteur « de la rue au logement », de l’urgence et de l’hébergement, du logement social et de l’immobilier.
Quelles sont les grandes lignes qui ressortent de ce 26ème rapport de la Fondation Abbé Pierre ?
1- Mise à l'abri : des efforts importants, mais qui n'ont, malheureusement, pas suffi !
La première partie du document se consacre donc à l'impact immédiat de la crise sanitaire sur la situation des personnes mal logées, ce que le rapport appelle "Double peine et bombe à retardement : les mal-logés face au choc du COVID".
Sur la gestion immédiate de la crise, le bilan est partagé pour ce qui concerne les personnes sans domicile. D'un côté, la mobilisation des pouvoirs publics a permis de prolonger les 14.000 places supplémentaires du dispositif hivernal et d'ouvrir plus de 20.000 places d'hébergement supplémentaires, dont 11.000 en hôtel. La prolongation de la trêve hivernale jusqu'en juillet – et les consignes données au-delà – ont également fait chuter le nombre des expulsions, qui a atteint un plus bas niveau historique.
Mais ces efforts se sont révélés insuffisants : selon une enquête du Collectif des associations unies, 53% des demandes formulées, le 9 avril dernier, auprès du 115 n'ont pu être satisfaites. Ainsi, parmi les 3.418 personnes (hors Paris) ayant sollicité le 115 ce jour-là, 1.794 n'ont pas bénéficié d'un hébergement, un chiffre au demeurant sous-évalué car il n'inclut pas les personnes ayant renoncé à appeler la plateforme.
Par ailleurs, pour celles qui ont pu être hébergées au cours du confinement et au-delà, les conditions de logement sont loin d'avoir toujours été en phase avec les règles édictées en termes de distanciation sociale et de gestes
2- Un sentiment de vivre enfermé a été le plus durement vécu chez la population subissant le mal logement
Pour leur part, les personnes qui vivaient déjà dans des structures d'hébergement (résidences sociales, foyers ou centres d'hébergement) et celles qui "ont été confinées dans leur habitat indigne, vétuste et dangereux, parfois surpeuplé", ont vu leurs conditions de vie "se dégrader fortement", sous l'effet de l'afflux de nouveaux arrivants. Le risque de contamination s'est aussi accru pour les personnes vivant en situation de surpeuplement.
Selon les données de l'enquête EpiCov pilotée par l'Inserm, 9,2% des personnes vivant dans un logement surpeuplé avaient été touchées par le virus en mai, contre 4,5% de la population générale.
De façon plus large, le confinement a mis en lumière les inégalités de logement. L'impact dépasse d'ailleurs le seul cadre du logement.
Selon la Fondation Abbé Pierre, "ce sont des quartiers entiers, parmi les plus dépréciés, qui ont vécu le plus douloureusement l'épreuve du confinement. Le sentiment de vivre enfermé a été le plus durement vécu", notamment du fait de la fermeture des parcs, des squares et des équipements publics.
Le rapport de la Fondation estime ainsi que "de façon générale, au plan sanitaire, les quartiers politique de la ville (QPV) ont payé un lourd tribut au COVID, que cela soit du fait de l'infection ou des effets induits du confinement" (8,2% des habitants touchés par le Covid-19 en mai).
3- L'après confinement, "bombe à retardement de la crise sociale"
Ce 26ème rapport exprime une très forte inquiétude vis-à-vis de la période de l'après confinement, qualifiée de "bombe à retardement de la crise sociale". Cette inquiétude et cette crainte ont été pointées par la CFDT ces derniers mois et semaines. Le Pacte du pouvoir de vivre est encore plus d’actualité en ces temps troublés.
La reprise de la pandémie et le second confinement ont en effet conduit à une saturation du dispositif d'urgence. Le rapport relève que "fin octobre, on notait à nouveau un niveau élevé de demandes d'hébergement non satisfaites (jusqu'à 83% dans le Rhône et 95% environ en Gironde et dans le Nord). Le rapport estime également que "la question de l'accès direct au logement est passée au second plan pendant cette période de crise sanitaire, éclipsée une fois de plus par l'urgence de la mise à l'abri".
Par ailleurs, de nombreux ménages ont été durablement fragilisés par la crise, qui est loin d'être terminée. Le rapport estime que "l'explosion de la demande d'aide alimentaire et la montée des impayés locatifs sont les premiers effets de la crise sociale mais, malgré ces alertes, les aides sociales sont restées jusqu'ici ponctuelles et limitées, tandis que les dispositifs d'aide au logement fonctionnent au ralenti".
4- Inquiétudes pour les étudiants et les salariés informels
La Fondation Abbé Pierre, comme la CFDT, s'inquiètent tout particulièrement pour les étudiants, sachant que, durant le confinement, 58% de ceux qui exerçaient une activité ont arrêté et que 36% ont réduit ou changé leur activité rémunérée. En outre, parmi ceux qui s'étaient arrêtés de travailler, 37% n'ont pas repris d'activité rémunérée après le déconfinement et 13% ont repris la même activité mais avec des horaires de travail réduits.
Les difficultés concernent également les 12 millions de salariés en chômage partiel, qui ont certes perçu 84% de leur salaire durant le confinement, mais ont pu perdre des heures supplémentaires, des primes ou des pourboires. Sans compter les 2,5 millions de personnes (estimation du Conseil d'orientation pour l'emploi) qui vivent de revenus informels. Signes de ces fragilités : un taux de chômage de 10% en 2020 et attendu à 11% dès le premier semestre 2021, ainsi qu'un nombre de ménages bénéficiaires du RSA en hausse de 10%.
5- L'impact à venir du retard pris dans la construction de logements
Autres sujets d'inquiétude : le risque d'une augmentation des impayés de loyers (même si celui-ci ne s'est pas encore matérialisé), l'allongement des délais dans l'accès aux droits du fait des retards accumulés ou encore le risque d'engorgement des CCAPEX (commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives), des commissions de surendettement et des commissions de médiation du DALO (droit au logement opposable), après le fort ralentissement de leur activité durant les confinements.
En s'en tenant au seul cas du logement, le plus inquiétant réside toutefois dans le retard pris dans la construction de logements du fait de la crise sanitaire. Ce retard vient d'être confirmé par la publication des chiffres du ministère au 31 décembre 2020, avec une chute des permis de construire délivrés de 15% et un recul des mises en chantier de 7%.
La ministre du Logement a indiqué sur une radio nationale, le 2 février, que seulement 90 000 logements avaient été construits en 2020. Lors de cette même intervention médiatique, la ministre, Madame Wargon, s’est engagée sur un chiffre de 250 000 logements construits dans les 2 années à venir. Cette annonce est loin de rassurer les acteurs du secteur, car la clé de voute en matière de construction, ce sont les maires qui délivrent les permis de construire, et en matière de respect de la loi SRU, bien trop de commune sont, encore, en dessous des 25% de logements sociaux.
Ainsi, en 2020, le nombre d'attributions HLM devrait par ailleurs chuter de 20%, soit près de 100.000 attributions en moins.
6- Dernière minute : Extension de la garantie VISALE d’Action Logement aux travailleurs dont le revenu est <ou= à 1500 € net/mois.
Cette annonce a été faite par la ministre du Logement également le 2 février 2021, lors de son intervention dans une matinale radiodiffusée. Cela concernerait plus de 6 millions de travailleurs. Chose étonnante, le C.A d’Action Logement Services n’a pas encore validée cette annonce. La décision aurait dû être prise jeudi 4 février, car les impacts budgétaires n’étaient encore tous connus et projetés sur le financement de cette mesure. Il semble bien qu’une nouvelle fois le gouvernement force la main de cet organisme paritaire.
Mais, un bémol doit être mis à cette annonce tonitruante de la ministre. L’acceptation par les bailleurs privés de cette garantie VISALE. En effet, les bailleurs (particuliers ou agences) se font tirer l’oreille afin d’accepter cette garantie (pourtant gratuite et efficace). De plus, les organismes bancaires ou assurance vendent des produits dits de garanties des loyers impayés, et ces derniers voient d’un mauvais oeil VISALE, qui vient leur enlever un produit à forte valeur ajoutée pour les leaders du marché.
7- La Fondation Abbé Pierre, comme la CFDT, s’interrogent sur la place de la question du mal logement dans le « monde d’après » ?
Car la question du logement pour les travailleurs de première ou seconde ligne est primordiale. Sans ces travailleurs, l’économie, notre société aurait été à l’arrêt. Ce qui aurait eu des impacts encore plus violents sur notre corpus national.
La question emploi-logement doit être au centre de nos réflexions dans ce monde d’après qui se dessine. En particulier, avec l’explosion du télétravail, la question de la mobilité, ainsi que celle du retour ou maintien dans l’emploi.
Ainsi le plan de relance, de 100 milliards d’euros, doit être plus fort sur la construction de logements économiquement et socialement accessibles. Et pas seulement sur la rénovation énergétique, qui ne concerne que les propriétaires de résidences principales.
Aujourd’hui, seul 0.8% de ce plan est affecté au logement et principalement sur la transition verte.
Ce monde d’après ne doit pas non plus se focaliser sur une écologie punitive, mais bien sur une écologie participative et citoyenne qui doit être décidée au plus près des territoires. L’écologie ne doit pas être celle des bobos parisiens et urbains mais celle de l’ensemble des femmes et des hommes de bonne volonté.
La CFDT doit être un acteur majeur de ce monde de demain en déployant ses 66 propositions contenues dans son pacte du pouvoir de vivre, dont la Fondation Abbé Pierre est signataire.
Rédacteur : Pascal ANGLADE