[Enquête] Flex office, attention prudence !

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Le flex office séduit de plus en plus d’entreprises, mais pas les salariés, qui vivent difficilement cette révolution du « sans bureau fixe ». Cet engouement patronal a des conséquences inquiétantes sur les conditions de travail. 

En matière d’aménagement des espaces de travail, il y a des modes. Après les années open space, voici que le flex office ou flex desk (bureau flexible) arrive en force. Avec le flex, fini le bureau attitré, et bienvenue dans des espaces partagés, où le salarié s’installe en fonction des besoins de son activité.

Désormais nomade dans son entreprise, le salarié navigue (une fois ses affaires récupérées dans un casier) entre postes de travail en libre-service, salles de réunion s’il doit rejoindre son équipe, quiet room (salle de tranquillité) s’il doit se concentrer, « box téléphonique » s’il doit passer des coups de fil, etc. Un phénomène qui ne se limite pas aux start-up ou aux grandes entreprises désireuses de rajeunir leur image.

«Le flex se généralise à tous les secteurs, y compris dans la fonction publique», note Jérôme Chemin, délégué syndical central CFDT chez Accenture. Et c’est là qu’on pressent un premier hic : «Le flex a été conçu pour une population de consultants, qui est la majeure partie du temps chez le client, et qui ne vient donc que ponctuellement au bureau. Le problème, c’est qu’aujourd’hui on veut faire passer tout le monde au flex, même les fonctions support», alerte le syndicaliste. Imaginez un DRH à la recherche d’un bureau pour faire passer des entretiens de recrutement ou un comptable, avec toutes les informations confidentielles qu’il détient, s’installer sur un plateau au milieu de 20 personnes !

Chez Orano (ex-Areva), les militants CFDT accueillent d’ailleurs avec méfiance le projet de déménagement annoncé par la direction. «Pour nos métiers d’ingénierie nucléaire, nos contraintes et besoins d’organisation du travail ne s’accommodent pas du flex. Nous craignons un effet de mode, souligne Emmanuel Gaubert, délégué syndical, qui souhaite que le dialogue avec la direction permette d’éviter les travers d’une telle organisation. 

On nous dit que ce mode de travail sera plus moderne et plus convivial. Mais rien ne le démontre.» Car, bien entendu, le flex est « vendu » par les aménageurs, comme par les directions, avec toute une novlangue vantant des espaces de travail censés décloisonner, faciliter les échanges, « stimuler la créativité », etc., « alors qu’il est avant tout motivé par un objectif financier de réduction des mètres carrés », recadre Jérôme Chemin.

Lutte des places

Partant du constat que les bureaux ne sont jamais tous occupés (les taux d’occupation sont généralement de 70% selon les services), les entreprises s’affranchissent du ratio un bureau pour un salarié. D’autant plus que le passage au flexs’accompagne toujours d’une incitation au télétravail ou au travail à distance dans des tiers lieux. Résultat ? «Il arrive que certains matins, des salariés soient obligés de repartir chez eux parce qu’ils ne trouvent pas de place disponible», raconte Laurent Bandelier, délégué syndical central CFDT d’Orange, qui a consacré un mémoire à la question (Orange a déjà organisé son site de la Défense en flex et projette de le mettre en place dans les 22 projets immobiliers en cours).

 Le flex entraîne une précarisation de la personnalité par manque de repères

«En région parisienne, les gens ont déjà le stress des transports. S’il faut ajouter le stress de trouver une place en arrivant au travail, cela fait beaucoup.» Plus grave encore, le fait d’être SBF (sans bureau fixe) provoque chez les salariés un sentiment d’insécurité très préjudiciable. « La stabilité d’un individu se construit par des habitudes, un système de référence. S’il faut tout reconstruire tous les jours, c’est extrêmement dangereux pour l’équilibre. Le flex entraîne une précarisation de la personnalité par manque de repères », dénonce Sylvaine Perragin, psychothérapeute et consultante1.

De nombreux autres experts alertent d’ailleurs sur la déstabilisation et la déshumanisation à l’œuvre dans l’instauration du flex : dispersion des équipes et appauvrissement de la communication (il faut s’envoyer des mails pour se retrouver, collègues ne se parlant plus que par messagerie), isolement des salariés, sentiment d’être interchangeable…

« On a sous-estimé l’attachement du salarié à son bureau, que l’on a présenté comme une valeur rétrograde, ringarde. Alors que c’est au fond un élément de l’identité professionnelle structurant », souligne Jérôme Chemin, qui a réalisé un guide méthodologique afin d’accompagner les équipes syndicales confrontées à cette question2. « Il s’agit d’être extrêmement vigilant dans la mise en place du flex. Cela doit s’appuyer sur une analyse très fine des besoins des salariés, une étape d’expérimentation et un possible retour en arrière si cela n’est pas satisfaisant. » Alors, le flex, effet de mode ou transformation durable du travail ? Trop tôt pour le dire, mais la plus grande vigilance est de mise afin d’éviter que le bureau ne devienne un enfer pour les salariés.

epirat@cfdt.fr

  Par Emmanuelle Pirat

Photo Image paralgedroid de Pixabay

 

1.Auteure du Salaire de la peine. Le business de la souffrance au travail. Éditions du Seuil.

2. Disponible sur le site de la CFDT-Cadres. www.cadrescfdt.fr

Orange : un projet de flex revu et corrigé

Pour son futur siège à Issy-les-Moulineaux, en région parisienne (emménagement prévu au deuxième semestre 2020), Orange a voulu « passer au flex » ; mais pas n’importe comment. Une consultation a débuté courant 2018 en associant les organisations syndicales. Lesquelles ont largement permis de faire évoluer le projet, comme l’explique Erik Björk, représentant CFDT au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

D’un aménagement en flex intégral (aucun poste n’est défini ou attribué), le projet tient désormais compte des spécificités des métiers, de leurs besoins (13 % des postes sont attribués pour certaines fonctions et la CFDT aimerait faire monter le ratio à 30 %) et des équipes. «Nous avons “reterritorialisé” les espaces pour que les équipes puissent se regrouper. On n’est plus dans le flex sauvage où le premier arrivé est le premier servi.»

La CFDT a, en outre, alerté sur lesinquiétudes des salariés (crainte de la dépersonnalisation des espaces de travail), sur les enjeux et les risques afférents à la mise en place du flex, notamment concernant les managers. « Ils vont être en première ligne pour réguler ces nouveaux espaces. Il faut les protéger. » La CFDT a plaidé pour que le passage en flex repose sur la base du volontariat « avec la possibilité d’élargir ensuite
si cela est satisfaisant ».