[ENTRETIEN OUEST FRANCE] Chômage : « La réforme n’a pas pour objectif de créer de l’emploi », pour Marylise Léon

Marylise Leon

Marylise Léon fustige la réforme de l’assurance chômage dévoilée par le gouvernement. La secrétaire générale de la CFDT estime que les mesures auront même « un effet boomerang et vont accroître les difficultés des secteurs en tension ».

Marylise Léon tire à boulets rouge sur la réforme de l’assurance chômage du gouvernement. La secrétaire générale de la CFDT se dit « révoltée » par un texte « profondément injuste ». La dirigeante du premier syndicat français ne comprend pas pourquoi « l’État ne demande aucun effort aux entreprises, il ne leur impose aucune contrainte. Pire, la réforme pourrait même les inciter à demander encore plus d’aides », estime-t-elle dans cet entretien à Ouest-France.

Combien la CFDT compte-t-elle désormais d’adhérents ?

Nous venons de faire attester les chiffres : on compte 634 278 adhérents, soit une hausse nette de 22 073 adhérents cette année. Cela s’explique par notre mobilisation contre la réforme des retraites et par un cycle électoral important l’an passé, avec près de 70 % de renouvellement des élus dans les entreprises. Et nous passons à 52 % d’adhérentes, ça progresse ! On est le premier syndicat et le seul à compter plus d’adhérentes que d’adhérents.

Le Premier ministre Gabriel Attal a dévoilé la réforme des règles de l’assurance chômage, dans l’optique d’atteindre le plein-emploi. Qu’en pensez-vous  ?

Elle me révolte car elle est profondément injuste. C’est clairement une réforme budgétaire qui n’a absolument pas pour objectif de créer de l’emploi. Le gouvernement a d’abord défini le montant des économies attendues et ensuite il a calibré les mesures en conséquence. Elles vont générer beaucoup d’économies et probablement plus que les 3,6 milliards d’euros avancés.

Résultat, ce sont les plus jeunes et les plus précaires qui vont être plus fragilisés ainsi que les seniors. Et parallèlement, l’État ne demande aucun effort aux entreprises, il ne leur impose aucune contrainte. Pire, la réforme pourrait même les inciter à demander encore plus d’aides.

Quant au système de bonus / malus pour lutter contre les contrats courts, c’est une bonne chose mais il doit être généralisé.

On ne s’improvise pas soignant ou aide à domicile, cela demande des compétences particulières.

La réforme vise aussi à encourager les personnes sans emploi à se tourner vers les emplois non pourvus…

Mais ce ne sera absolument pas le cas. On ne s’improvise pas soignant ou aide à domicile, cela demande des compétences particulières. Or les personnes en recherche d’emploi auront moins de temps pour se former aux métiers en tension. De plus, certaines zones géographiques manquent plus de bras que d’autres, et ce n’est pas nécessairement là où vivent ceux qui recherchent un emploi.

Cela deviendra aussi très compliqué pour les secteurs qui dépendent des saisonniers de continuer à fonctionner. Une saison, c’est trois ou quatre mois de travail, là ça devient mission impossible pour certains de cumuler huit mois de travail. Il y a des salariés qui vont se détourner de ces activités et se réorienter vers d’autres secteurs. Cela aura un effet boomerang et va accroître les difficultés des secteurs.

Le but est aussi d’aligner le cadre français sur les standards européens.

Les marchés du travail sont différents et ils ne sont pas comparables. Cela n’a pas de sens. Il faut considérer les systèmes dans leur ensemble. Regardez par exemple les possibilités de reconversion, l’accès à l’emploi. Ce n’est pas à la carte quand cela nous arrange !

La réforme passera par décret, vous regrettez la méthode ?

Oui mais on s’y attendait. On avait conclu un accord à la fin de l’année 2023 où il manquait des dispositions sur les seniors. On voulait articuler le tout avec la négociation sur le pacte de la vie au travail mais elle a échoué en avril. Donc on n’est pas surpris que le gouvernement reprenne la main. D’autant que les règles actuelles s’arrêtent au 1er juillet : il fallait les redéfinir, mais certainement pas avec ces règles.

À l’approche des élections européennes, vous avez auditionné les principaux candidats ?

Oui à l’exception de l’extrême droite. On ne débat pas avec des formations politiques qui font de l’inégalité de droit, le fondement de leur doctrine politique et ne prônent que le repli sur soi. Alors que l’on a besoin de plus d’Europe et de mieux d’Europe.

Avec la confédération européenne des syndicats, nous avançons sur un socle européen de droits sociaux, de règles de gouvernance économique… On se penche sur les mutations du travail en général et par exemple sur la nécessaire réinvention d’un dispositif de reconversion européen. Il y a une urgence à réfléchir à la transformation du travail, en lien avec la transition écologique et la révolution numérique. On a déjà franchi un premier pas avec l’instauration d’un salaire minimum dans tous les pays, c’est une façon de lutter contre le dumping social. Maintenant, il faut consolider cette première avancée.

Comment appréhendez-vous l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) dans le monde du travail ?

On n’a pas un regard naïf. L’IA peut offrir des opportunités mais présente également un danger pour l’emploi. La question est de savoir en quoi cet outil peut améliorer les conditions de travail et enrichir les missions. Il faut réguler son usage et il faut plus de transparence car des salariés découvrent parfois qu’une IA a été implantée dans les systèmes d’information sans concertation. Il faut que ce sujet fasse l’objet d’un dialogue social dans les entreprises. Mais là encore, plus globalement, l’échelle européenne est peut être le bon niveau de réflexion.

Que pensez-vous de la mobilisation de certains salariés pour obtenir des primes pour leur implication lors des Jeux olympiques ?

On ne sort pas le carton rouge avant le début du match ! Les discussions sont toujours en cours. Mais il y a fondamentalement un problème de méthode : nous sommes dans la dernière ligne droite et il faut que le dialogue soit renforcé. Le gouvernement a du mal à coordonner l’ensemble des demandes avec des primes qui ont été dégainées pour certaines catégories et d’autres qui demandent, à juste titre, la même chose. Il y a un manque cruel d’anticipation de la part du gouvernement.