[LE NOUVEL OBS] Interview de Marylise LEON intitulée "Sur les retraites, nous avons une obligation de réussite"
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Que peut-on attendre des discussions ouvertes à la demande de François Bayrou sur la réforme des retraites de 2023 ? « Le Nouvel Obs » fait le point avec la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon.
Les partenaires sociaux se sont retrouvés une première fois vendredi 17 janvier pour évoquer les contours de la négociation ouverte par François Bayrou sur la réforme des retraites de 2023. Après une première phase de diagnostic financier, réalisé par la Cour des Comptes, les discussions doivent durer trois mois. En cas de « progrès », un texte devrait ensuite être soumis au Parlement, a assuré le Premier ministre.
Après plusieurs mois de mobilisation en 2023 et une adoption de la réforme par l’article 49.3 de la Constitution, les organisations syndicales restent opposées à un report de 62 ans à 64 ans de l’âge légal de départ en retraite. Quelles autres avancées espère obtenir la CFDT ? Nous en avons discuté avec Marylise Léon, secrétaire générale du syndicat réformiste.
Deux ans quasiment jour pour jour après la première mobilisation contre la réforme des retraites, le Premier ministre François Bayrou dit faire « confiance » au dialogue social et met les partenaires sociaux autour de la table… Il était temps ?
Marylise Léon Il était temps ! Après la pseudo-concertation fin 2022, cela fait deux ans que la CFDT demandait à discuter des retraites, et donc du travail, et que nous nous heurtions à une fin de non recevoir. L’attente était donc grande. C’est une première victoire pour ce mouvement historique, et nous allons saisir cette opportunité pour obtenir des avancées concrètes pour les travailleurs, même si nous attendons encore des clarifications sur le périmètre et le calendrier des discussions.
Au sortir de la première réunion de cadrage du 17 janvier, êtes-vous confiante dans votre capacité à obtenir un « bougé » sur l’âge légal de départ en retraite à 64 ans ?
Sur les 64 ans, mais aussi sur la reconnaissance de la pénibilité – 88 % des maladies professionnelles sont liées à des troubles musculo-squelettiques dont les quatre critères ont été retirés de la reconnaissance de la pénibilité en 2018 – et sur la carrière des femmes, puisque le décalage de deux ans de l’âge légal leur a annulé des droits, notamment des droits familiaux, ce qui est profondément injuste. Si nous entrons dans la discussion, c’est parce que nous le devons aux travailleurs qu’on représente et à ceux qui se sont mobilisés contre la réforme des retraites. Nous ferons tout pour obtenir ces améliorations.
Le projet de la CFDT sur les retraites, cela reste un régime universel. Mais nous sommes lucides sur le fait que ce n’est pas un projet porté par l’ensemble des organisations, loin de là. Nous entrons dans les discussions avec un principe de réalité, en attendant un moment plus propice pour travailler sur une réforme systémique plus ambitieuse et longue à mettre en œuvre, comme la retraite à points.
Vous n’entrerez donc pas dans ces négociations avec une ligne commune à l’ensemble des organisations syndicales ?
Non, et c’est clair depuis le début. Durant tout le mouvement des retraites, nous avions un accord contre les 64 ans, mais nous n’étions pas tous alignés sur les solutions ou les sujets prioritaires. Nous n’avons pas les mêmes propositions de financement, par exemple. Mais nous allons essayer de construire un équilibre.
S’il y a un point sur lequel vous êtes d’accord, entre organisations syndicales mais aussi avec les organisations patronales, c’est sur le fait que le diagnostic financier présenté par François Bayrou ne tient pas. Il considère que des surcotisations de l’Etat employeur pour les retraites des fonctionnaires cachent un déficit du régime des retraites de 55 milliards d’euros. Bien loin des estimations du Conseil d’Orientation des Retraites…
Si on veut faire un travail sérieux et appeler à la responsabilité de chacun, il faut arrêter de raconter n’importe quoi. Nous avons tous été très clairs là-dessus lors de la réunion du 17 janvier : non, le déficit des retraites ne constitue pas la moitié de la dette publique, et non, on ne peut pas mélanger les modalités de financement du public et du privé. Nous ne discuterons pas d’un soi-disant déficit de 55 milliards d’euros. C’est une erreur comptable. Cela ne correspond pas aux travaux du Conseil d’Orientation des Retraites, qui est un lieu de consensus démocratique. Je pense que François Bayrou l’a entendu. En tout cas, cela lui a été répété à de nombreuses reprises.
Que se passera-t-il si vous ne partagez pas le diagnostic que la Cour des Comptes doit établir pour le 19 février ?
Nous nous poserons la question de rester dans la discussion. Nous sommes capables de beaucoup de choses, mais il ne faut pas nous demander l’impossible. Et qu’on ne nous demande pas en plus de trouver des solutions qui n’étaient pas attendues de la réforme Borne : elle n’avait pas pour objectif de traiter ce pseudo-déficit caché qui n’existe pas.
Il est essentiel que le diagnostic soit partagé. C’est d’ailleurs pour cela que nous demandons que soit aussi établi un diagnostic social. 30 % des aides-soignantes finissent leur carrière en invalidité, cette pénibilité doit être mise sur la table. Certaines organisations patronales y viennent petit à petit.
Quelles sont vos propositions de financement ?
Pour la CFDT, l’augmentation des ressources du régime de retraites passe par l’amélioration de l’emploi des seniors. La France n’est pas du tout au niveau de l’Allemagne ou de la Suède sur ce point. En 2022, nous avions calculé qu’améliorer de 10 points le taux d’emploi des seniors permettait de combler le déficit qui était alors de 10 milliards d’euros. Il sera de 15 milliards à l’horizon 2030, on est donc aux deux tiers. Il est financièrement mais surtout humainement souhaitable que les seniors ne se sentent pas sur un siège éjectable dès qu’ils atteignent un certain âge. L’accord interprofessionnel conclu en novembre 2024 prévoit des dispositions, mais il est possible d’aller plus loin.
Il faut aussi poser la question des cotisations des employeurs. Là-dessus, la discussion doit être globale. Il sera intéressant d’observer ce qui se fait du côté du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. On ne peut pas regretter un déficit de cotisations, tout en maintenant des exonérations qui n’ont aucun effet sur l’emploi et sur les dynamiques salariales, puisqu’elles contribuent à scotcher les gens au smic.
La réforme n’étant pas suspendue, les organisations syndicales ne partent-elles pas avec du retard dans la négociation ? Les organisations patronales n’ont pas vraiment intérêt à la faire avancer…
Il est vrai que nous n’arrivons pas tous autour de la table avec le même enthousiasme, puisque l’on demande à des organisations patronales de revenir sur une réforme qui leur va bien et qu’elles avaient, pour certaines, applaudie. Ceci étant, quand nous demandions la suspension de la réforme des retraites, nous étions dans l’idée que la discussion serait plus longue. Là, elle va durer trois mois, il sera possible de faire passer une loi avant l’été. Le fait que le gouvernement se soit engagé à reprendre les discussions au Parlement quelle que soit leur issue est un signal envoyé au patronat que le sujet ne sera pas clos même s’il y a un échec des négociations. Ils ont donc plutôt intérêt à les faire avancer.
Ces discussions sont-elles une façon pour François Bayrou de gagner un peu de temps, comme le craignent certains ?
On peut lui prêter plein d’intentions. Néanmoins, l’idée avec ce délai de trois mois, c’est d’avoir un terrain d’atterrissage au printemps pour une adoption dans la loi avant la prochaine échéance de la réforme des retraites, qui est le passage à 62 ans et 9 mois au 1er octobre. Il n’y a pas tant de temps à gagner. Je pense que ceux qui affirment qu’il veut simplement gagner du temps ne croient pas à la négociation. Elle va être compliquée, mais nous ferons tout pour obtenir des avancées. Après, je suis lucide sur le fait qu’en faisant confiance aux partenaires sociaux, François Bayrou partage aussi les responsabilités. Il affirme que la réforme est injuste, qu’il faut la modifier, puis nous confie le sujet : c’est aussi une manière de faire peser sur nous la responsabilité en cas d’échec. Mais notre obligation de réussite vient surtout de notre volonté d’être utile aux travailleurs et aux travailleuses.
Avez-vous des détails sur la mise en œuvre concrète de la « concertation sur le travail et les salaires » annoncée dans la déclaration de politique générale ? C’était une demande de la CFDT.
Nous ne savons rien de plus que ce qui a été annoncé dans le discours de politique générale. Nous avons noté que le Premier ministre avait repris la terminologie de « travailleurs pauvres ». De plus en plus de travailleurs n’arrivent pas à vivre de leur travail, ne peuvent pas se loger ou se nourrir à leur faim. Le sujet est urgent. Nous espérons aussi que pourra être évoquée la question du sens au travail : les entreprises doivent progresser sur leur compréhension de ce qu’est aujourd’hui le rapport au travail. Autre sujet important, celui des accidents au travail. La France est une des plus mauvaises élèves de l’Europe en la matière. Il faut parler de ces sujets le plus rapidement possible, car ils sont intimement liés avec ceux des retraites, qui sont le reflet de la carrière professionnelle.
Propos recueillis par Agathe Ranc