[Usbek & Rica] Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT : « Investissons massivement dans notre jeunesse »

laurent berger

Les jeunes paient un lourd tribut à la crise, nous rappelle dans cette tribune Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. Détresse psychologique, précarité financière, perspectives d’avenir bouchées… Seul un grand plan d’investissement peut leur venir en aide. Et, selon lui, nous en avons largement les moyens.

Difficile de prévoir dans quel état nous sortirons individuellement et collectivement de cette crise. L’histoire nous indique cependant quelques points de vigilance. Les crises ont souvent provoqué du ressentiment. Derrière la légèreté des années folles frémissaient à petits bouillons les haines qui ont écrit l’une des pages les plus noires de notre histoire. Nous devons veiller à ce que la crise du COVID-19 ne laisse pas dans son sillage une ligne de démarcation plus nette que jamais entre des perdants et des gagnants d’une situation qui s’est imposée à tous.

Avant de reprendre la vie normale à laquelle tout le monde aspire, il faut solder les comptes avec sérénité et objectivité. Notre société s’est grandie en protégeant nos concitoyens les plus âgés et les plus vulnérables. En plaçant la vie humaine au-dessus de toute autre considération, elle s’est fixé un nouvel horizon. Un horizon qui a demandé des efforts à une population jeune souvent malmenée, rarement écoutée. Elle a payé un lourd tribut depuis mars 2020. Les jeunes sont désormais plus d’1,6 million à ne cocher sur leur CV aucune des deux cases  « en emploi » ou  « en formation ». Selon les associations caritatives, 20 % d’entre eux ont sollicité une aide alimentaire ces derniers mois -pour les trois-quarts, il s’agissait d’une triste première-. Une récente étude sur les risques psychosociaux des salariés indique que 62% des moins de 29 ans sont en détresse psychologique (1).

On ne peut pas laisser toute une génération en souffrance. Ils et elles sont les citoyens, les travailleurs, les entrepreneurs, les décideurs de demain. Il faut investir massivement dans notre jeunesse. Lui donner des moyens de reprendre sa vie en main. Donner les moyens aux jeunes des quartiers populaires de s’imaginer un avenir alors qu’ils subissent une double peine : ces territoires ont terriblement souffert de la crise en bénéficiant proportionnellement moins de soutien public que les autres (II). 

Donner des moyens à ces jeunes qui se retrouvent sans stage pour valider une formation, qui peinent à entrer sur le marché du travail faute de boulot.  A ces jeunes qui subissent de plein fouet l’arrêt des missions d’intérim et des petits contrats, qui ont dû s’isoler à un âge où les relations amicales se nouent, où les rencontres émancipatrices se jouent, où une identité se construit… Souvenons-nous de la crise financière de 2008. La génération qui entrait dans la vie active a connu des années de plomb. Le retard pris ne s’est estompé que longtemps plus tard et les inégalités, déjà sous-jacentes, ont augmenté.

Pour éviter ce scénario, j’en appelle à un grand plan d’investissement et de solidarité à destination de la jeunesse. Un plan qui assurerait aux jeunes de moins de 25 ans les moyens de leur subsistance en leur ouvrant l’accès au RSA ou à une garantie jeunes universelle. Un plan qui leur ouvrirait, après deux années blanches,  les portes de la culture, du sport et des loisirs par l’attribution d’une aide financière sous forme de chèques. Un plan qui  renforcerait leurs parcours d’insertion professionnelle en lien avec les exigences de transitions écologiques et numériques. Un plan qui, en redynamisant le monde associatif,  retisserait du lien social. Un plan qui favoriserait les expériences à l’étranger pour les étudiants et les apprentis… Un plan qui serait le fruit d’une réflexion menée avec l’ensemble des acteurs concernés.

Ce plan massif d’investissement serait une belle marque de confiance pour une génération autour de laquelle se construiront la France et l’Europe de demain. Il peut être financé par des contributions exceptionnelles. L’épargne accumulée ces deux dernières années s’élèvera à 160 milliards selon l’Observatoire français des conjonctures économiques. 70 % de ce montant  est détenu par les 20 %  les plus aisés. Alors que de nombreuses entreprises ont souffert, d’autres ont traversé la crise en dégageant de nouveaux bénéfices. Il n’est pas question de le leur reprocher. Mais il est inconcevable  que ceux qui se sont enrichis ne contribuent pas à l’effort indispensable pour relancer notre économie et soutenir ceux qui ont le plus souffert de la crise : les jeunes.

Washington a ouvert la voie en proposant d’harmoniser la fiscalité à l’échelle planétaire pour ramener les acteurs économiques dans le jeu de la solidarité. Le FMI lui a emboîté le pas, en imaginant une taxe temporaire pour les plus riches et les entreprises qui ont prospéré durant la crise. L’histoire regorge d’exemples de ce type de mesures exceptionnelles prises après une guerre ou une catastrophe naturelle (3). Le faire aujourd’hui, dans le cadre européen, redonnerait du souffle à un projet en manque d’adhésion citoyenne et populaire. La France doit en donner le la. Avec ses partenaires privilégiés, elle peut être le fer de lance d’un ambitieux plan jeunes. À quelques mois de la présidence française de l’Europe en janvier 2022, elle enverrait un message d’optimisme pour l’avenir.

© Usbek & Rica 2021

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