[COURRIER CADRES] Accord sur le télétravail et droit à la déconnexion : “il faut presque protéger les salariés malgré eux”
L’accord sur le télétravail que les partenaires sociaux devraient entériner le 23 décembre 2020 comporte un volet sur le droit à la déconnexion. Un droit important pour protéger les télétravailleurs “d’éventuelles dérives”, nous expliquent les syndicats FO, CFE-CGC et CFTC.
Fin novembre, les partenaires sociaux sont parvenus à un accord sur le télétravail. Un nouvel ANI devrait être signé le 23 décembre, afin de poser un cadre sur les modalités de mise en œuvre de cette pratique, en plein boom depuis la crise du Covid-19. Il ne sera pas contraignant, mais fera office de référentiel pour les négociations de branches ou d’entreprises.
Dans ce texte, l’on trouve une partie sur le droit à la déconnexion. Pour rappel, depuis 2017, ce droit oblige les entreprises à trouver un accord d’entreprise sur la gestion de la disponibilité des employés en dehors des horaires du travail. Mais dans les faits, selon une étude OpinionWay, seules 16 % des entreprises avaient créé, en 2018, des règles en interne pour le mettre en œuvre. En outre, 67 % des salariés français continuent de travailler en vacances, notamment par peur d’être licenciés.
Cette problématique est d’autant plus grande avec le travail à distance, appelé à se formaliser après la crise. “On a commencé à parler de ce droit pour des personnes sur site. Ensuite, pour celles en forfait jour, moins soumises au regard du collectif. Maintenant, avec le télétravail, il n’y a plus aucun regard direct du collectif, ni de différences entre le lieu de travail et le lieu de résidence. Et l’on se rend alors compte que les salariés ont énormément de difficultés à couper”, explique Jean-François Foucard, secrétaire confédéral de la CFE-CGC. Le travail à distance présente ainsi le risque pour ceux qui le pratiquent de se surinvestir au point de vivre des “journées sans limites”.
Depuis plusieurs mois, des études font le constat d’une forte dégradation de la santé psychique des télétravailleurs. Le dernier baromètre d’Empreinte Humaine indique notamment que 58 % des salariés en télétravail à 100 % sont en détresse psychologique, contre 53 % de ceux en situation “hybride” et 49 % toutes situations confondues.
“Sans véritable déconnexion, les répercussions sur la productivité et la santé des salariés sont considérables. Avant la crise, les travailleurs avaient déjà des difficultés à déconnecter à cause de leurs appareils numériques, mais ils avaient au moins une coupure créée par les heures d’arrivée et de départ du bureau. Mais avec le travail à domicile, ce sas n’existe plus. C’est pourquoi il était important de mettre un zoom sur ce droit à la déconnexion dans l’accord”, remarque Béatrice Clicq, secrétaire confédérale de Force Ouvrière.
“Le droit à la déconnexion est une loi depuis 2017, mais elle n’aborde pas le travail à distance. Et en l’état, les dérives sont faciles en télétravail. Nous ne voulions pas que des employeurs s’engouffrent dans cette faille, pour inciter leurs salariés à travailler en dehors de leur temps de travail ‘normal’. Avec cet accord, nous apportons des précisions complémentaires pour rappeler leurs devoirs aux dirigeants”, abonde Éric Courpotin, secrétaire confédéral de la CFTC.
“Des règles de santé publique”
Concrètement, le projet d’accord indique que “la mise en place du télétravail prend en compte le droit à la déconnexion, lequel doit faire l’objet d’un accord ou d’une charte traitant de ses modalités de mise en œuvre”. Il rappelle aussi que ce droit a pour objectif “le respect des temps de repos et de congé, ainsi que la vie personnelle et familiale du salarié”.
Selon Jean-François Foucard, “il faut presque protéger les salariés malgré eux”. Tout comme celles liées au repos et aux heures de travail maximales par jour, les règles du droit à la déconnexion sont ainsi “des règles de santé publique : si les individus ne les appliquent pas, ils risquent de tomber malade, ce qui aura un coût pour la société. Mais ce droit n’est pas encore bien compris de tous”. Aux entreprises, donc, de mettre en place des “outils de transparence” permettant de rendre visible la disponibilité ou l’indisponibilité de chacun, ainsi que de véritables règles en interne.
Pour l’heure, seule la CGT s’oppose au projet d’ANI actuel, car elle refuse qu’il soit “non-contraignant” et “non-normatif”. Pour autant, les autres syndicats considèrent ce texte, comme l’estime Béatrice Clicq, comme “engageant et permettant aux salariés de peser sur leurs conditions de télétravail”.
La CFE-CGC, de son côté, souhaitait à l’origine créer un droit à la déconnexion dédié aux télétravailleurs. Elle espérait aussi que le télétravail devienne un thème des négociations annuelles obligatoires (NAO). “Mais cet accord constitue déjà une belle avancée, pourvu que les entreprises s’en saisissent”, note Jean-François Foucard.
“L’objectif de ce texte est de faire en sorte que le droit à la déconnexion ne soit pas simplement un droit ‘proposé’ aux salariés : l’entreprise doit comprendre qu’elle aussi a pour devoir de tout faire pour le faire respecter par ses collaborateurs. De la sensibilisation à l’utilisation d’outils pour bloquer les e-mails sur certaines plages horaires”, complète Béatrice Clicq.
Le rôle crucial des managers
Selon les partenaires sociaux, l’un des enjeux sera de former les collaborateurs. C’est dans cette optique que le projet d’accord incite les entreprises à “faire monter en compétences les managers et les salariés aux évolutions managériales et d’organisation du travail engendrées par le travail à distance”. Sur des sujets tels que l’autonomie, le “séquençage de la journée de télétravail” et “le respect du cadre légal relatif à la durée du travail et à la déconnexion”.
Le rôle des chefs d’équipe sera finalement crucial. “Les managers prendront de plus en plus d’importance, à mesure que le télétravail se développera. Ils devront comprendre les contraintes de chaque collaborateur”, explique Jean-François Foucard, à la CFE-CGC. “Les salariés doivent pouvoir profiter d’une certaine souplesse dans leurs horaires. Mais les employeurs et les managers doivent être là pour les protéger, notamment en fixant avec eux des créneaux précis où ils sont joignables ou pas”, conclut Éric Courpotin.
Fabien Soyez
Journaliste Web et Community Manager