[COURRIER CADRES] Télétravail : “la distance accentue les risques de pratiques addictives au travail“
Télétravail : “la distance accentue les risques de pratiques addictives au travail“
Selon une étude Odoxa pour GAE Conseil, 75 % des Français jugent que les collaborateurs ayant une addiction risquent de la voir s’aggraver du fait du télétravail, et 41 % des salariés considèrent quant à eux, les pratiques addictives comme fréquentes en télétravail, bien plus que sur le lieu de travail. Un challenge pour les managers, mais aussi les employeurs, dont la responsabilité peut être engagée.
En avril dernier, lors de la première vague de Covid-19, le cabinet GAE Conseil, spécialisé dans la prévention des pratiques addictives au travail, avait publié une étude sur la façon dont le confinement pouvait avoir un impact sur les comportements addictifs des Français. Qu’il s’agisse de la consommation de produits psychoactifs ou d’addictions comportementales (au travail, à l’hyperconnexion, au sport). L’enquête avait permis de constater qu’avec le premier confinement, 38 % des Français avaient augmenté le temps passé sur les réseaux sociaux, 1 fumeur sur 4 de cannabis avait augmenté sa consommation, 22 % des consommateurs de médicaments psychotropes avaient augmenté leur consommation d’anxiolytiques ou de somnifères, ou encore que plus d’un Français sur deux avait augmenté son temps d’utilisation des écrans. Les causes principales générant ces modifications de comportements étant principalement l’angoisse liée à l’épidémie (50 %), l’ennui (60 %) et la “perte de repères” (55 %).
“Nous avions aussi constaté que 22 % des actifs considéraient alors qu’une surcharge de travail, issue du télétravail, en était aussi responsable”, note Alexis Peschard, président de GAE Conseil et addictologue. En septembre 2020, le cabinet a alors mené une seconde étude avec Odoxa sur le travail à distance, vivement encouragé actuellement par le gouvernement. Constat de cette enquête : le travail à distance “accentue les risques de pratiques addictives”, qui sont plus fréquentes à domicile que dans les locaux de l’entreprise.
Des produits psychoactifs au workaholisme
“Pour la majorité des Français (75 %), le télétravail entraîne un risque accru d’addictions. Qu’il s’agisse d’hyperconnexion et de “workaholisme” (81 %) ou de consommation de tabac ou d’alcool (70 %)”, explique Alexis Peschard. Selon l’étude du cabinet, 60 % des télétravailleurs considèrent notamment que le travail à distance présente des risques pour la santé physique et psychologique. “L’isolement généré par le télétravail est responsable du risque accru d’addiction aux produits psychoactifs. Mais le stress et l’hyperconnexion causés par le travail à distance sont aussi à l’origine d’une addiction au travail pour 61 % de ceux qui le pratiquent”, observe le président de GAE Conseil. Selon lui, “être réactif, rapide et connecté est bien vu dans le monde du travail. Et le sujet du workaholisme est encore très peu au cœur des préoccupations des entreprises”.
En matière d’organisation, de management et de santé au travail, 82 % des Français attendent un accompagnement et un soutien de leur entreprise. Selon l’étude de GAE Conseil, ils sont “démunis sur la prévention à distance” des addictions. Ainsi, 80 % pensent que le télétravail rend “plus difficile” la détection par les managers et les RH des conduites addictives.
“Sur le lieu de travail, les salariés doivent adopter des stratégies pour rendre leur dépendance indétectable, avec la crainte d’être vus et sanctionnés. Ils consomment par exemple de l’alcool hors du temps de travail. Mais à distance, il n’y a plus la barrière du regard de l’autre, la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle est gommée, et l’addiction est largement moins visible. Sauf dans de rares cas, par exemple lors de visioconférences inopinées”, explique Alexis Peschard.
Un sujet tabou qui freine les managers
Du côté des managers, 77 % considèrent qu’ils doivent “redoubler de vigilance” pour s’assurer qu’un télétravailleur n’ait pas de pratique addictive. “Mais ils sont aussi 72 % à considérer que la distance rend plus difficile le fait d’aborder le sujet avec les salariés dépendants”, constate l’addictologue. “Ce constat est alarmant, car ni les salariés non dépendants, ni les managers, ni les dirigeants, n’en ont forcément conscience”, ajoute-t-il.
Le président de GAE Conseil rappelle en outre que “ce qui s’exporte du lieu de travail au domicile”, c’est la responsabilité qui incombe aux employeurs : “l’obligation de sécurité et de protection des travailleurs leur impose de prévenir ces risques. Car ils seront responsables s’il y a un accident, y compris à distance, dans la mesure où les salariés sont en télétravail.” Mais il constate que “bien trop d’entreprises ne savent ni parler du sujet de l’addiction, ni l’identifier, car il s’agit d’un sujet tabou”. Par peur d’entrer dans la sphère intime des collaborateurs, d’être “perçus comme invasifs” ou de “porter préjudice à leurs carrières”, de nombreux managers et DRH “évitent d’aborder le sujet avec eux”, à moins de “les prendre sur le fait”.
“Il ne faut pas tourner autour du pot”
Comment prendre en charge au mieux un salarié dépendant ? “D’abord en organisant un entretien avec lui, en toute bienveillance, sans jugement, avec empathie, et surtout en toute honnêteté : pas besoin de tourner autour du pot, sans quoi le collaborateur ne comprendra pas le message et n’acceptera pas pleinement l’aide de l’entreprise”, indique Alexis Peschard. Ensuite, en l’orientant vers le service santé au travail, RH, ou de l’action sociale de l’entreprise, ainsi qu’en mettant en place une ligne d’écoute ou un accompagnement avec des spécialistes de l’addiction.
D’un point de vue plus global, les employeurs devront “adapter leurs règlements intérieurs et leurs documents uniques d’évaluation des risques professionnels, en prenant en compte le télétravail et les risques inhérents, dont ceux de l’addiction”, conseille Alexis Peschard.
Reste la question de la formation (continue ou initiale) des managers. “Aujourd’hui, ils ne sont pas formés, ou pas suffisamment, aux réponses à donner aux problèmes d’addictions, notamment à distance. Au-delà de ce que des cabinets comme le notre font sur le terrain, au sein des entreprises, auprès des encadrants, cette dimension-là devrait être prise en compte dès la formation initiale, dans les écoles de management et d’ingénieurs. Malheureusement, très peu d’entre elles prennent ce sujet en compte dans leurs cursus”, remarque l’addictologue.
Fabien Soyez
Journaliste Web et Community Manager