Quelles sont les obligations de l'employeur en matière de gestion des risques psychosociaux et de télétravail ?
Juste un petit flashback : à la base le télétravail est une bonne chose. L'actualité, au travers d'une overdose de télétravail, a tendance à nous le faire oublier, mais il s'agit d'une modalité d'exécution du contrat plébiscitée par les salariés (sondage mediavox de juin 2020, 88 % des salariés interrogés se disaient satisfaits de leur expérience de télétravail).
La période actuelle, grossit les traits du télétravail, ce qui, au demeurant, permet de pointer les dérives du système. Lesquelles dérives, aujourd'hui, rendent le thème de la prévention des RPS, crucial.
Pour poursuivre les éléments de contexte, rappelons que:
- 1- Le télétravail est soumis à l'accord des parties: le salariés, comme l'employeur doivent être volontaires, c'est vraiment l'état d'esprit qui préside le télétravail. Il doit arranger tout le monde (hors période de pandémie ou les conditions sont un peu particulières évidemment).
- 2- Normalement le télétravail n'est pas fait pour constituer 100% du temps de travail. Les risques auxquels nous pensons actuellement sont exacerbés par l'aspect 100 % lié aux confinements et contraintes sanitaires. Cette période particulière va avoir une fin (on l'espère!), qui permettra de diminuer certains RPS intrinsèquement générés par un excès de télétravail.
Le coeur de la question, la prévention des risques.
La mise en place du télétravail est subordonnée à la négociation d'un accord collectif ou à la mise en place d'une Charte, après information consultation des RP en l'absence, d'un accord “par tout moyen” entre le salarié et l'employeur (article L 1222-9 CT) Ensuite, rappelons l'obligation générale de santé de l'employeur (L4121-1 CT) => Le reste relève davantage du “droit mou” comme on le nomme de façon peu avantageuse. C'est-à-dire des déclarations d'intentions finalement assez peu contraignantes. Elles ont toutefois le mérite d'exister. Je pense notamment aux protocoles sanitaires ou encore à l'Accord national interprofessionnel du 26/11 (ANI télétravail), conclu par les partenaires sociaux.
L‘article 3.4.1. “Evaluation des risques professionnels”, énonce clairement que “Les signataires du présent accord soulignent l'importance de la prise en compte du télétravail dans la démarche d'analyse de risque visée à l'article L 4121-1 du code du travail et qui fait l'objet d'une transcription dans le DUER. Le télétravail est une modalité d'organisation du travail qui peut faire l'objet d'une évaluation des risques professionnels adaptée. Cette évaluation des risques peut notamment intégrer les risques liés à l'éloignement du salarié de la communauté de travail et à la régulation de l'usage des outils numériques”.
L'article 5 vise clairement ‘la préservation de la relation de travail avec le salarié”, en prévoyant des dispositions en faveur du “maintien du lien social” et de la “lutte contre l'isolement”
➡ on est bien dans cette volonté d'inscrire la prévention des risques spécifiques
Dans cette crise sanitaire, l'employeur se doit encore plus d'assurer la sécurité des salariés en matière de santé, quelle est la priorité entre santé psychique et physique (risque de Covid) ? Comment gérer les 2 risques ? Notamment le cas d'une salariée à risque qui souhaite revenir sur site, comment gérer ?
Rappelons que l'employeur détient le pouvoir de direction. L'article L 1222-11 du CT prévoit la possibilité d'imposer le télétravail en cas de “circonstances exceptionnelles” (pandémie notamment).
Par ailleurs, depuis le 2ème confinement, le protocole sanitaire prévoit le télétravail obligatoire à 100 % pour tous ceux dont le poste permet ce télétravail. Autant dire que le gouvernement a tranché en faveur de la préservation de la santé physique. Cela étant, la pandémie actuelle est particulière dans sa durée notamment. Le Gouvernement estime avoir pris la mesure de la difficulté suscitée par le télétravail à 100 % pendant des mois, voire même plus d'une année.
➡ Modification du Protocole sanitaire national le 6/01, en conséquence.
Mais rappelons que le Conseil d'État, le 19 octobre 2020 (n° 444809, a jugé que le protocole national constitue un ensemble de recommandations sur la mise en oeuvre pratique de l'obligation de sécurité de l'employeur, sans caractère normatif).
➡ pas de caractère contraignant. Et à l'inverse opposée, on connait tous des entreprises qui refusent de télétravailler, alors qu'une partie des postes le permettraient. Si l'entreprise respecte le protocole sanitaire, aucune sanction n'est prévue.
➡ il est compliqué pour un salarié d'imposer son télétravail ou son retour sur site. Il n'y a pas vraiment de sanction si l'employeur refuse de faire venir une journée par semaine le télétravailleur, ou si au contraire, il refuse de placer en télétravail, des postes qui le permettraient.
Je terminerai en soulignant le rôle que peuvent jouer les services de santé au travail pour accompagner ces diverses démarches.
Parlons maintenant de la prévention des RPS et commençons tout d'abord par sa transcription dans le Document Unique d'Evaluation des Risques (DUER). Maître, est-il obligatoire de faire figurer les risques psycho-sociaux dans le DUER et comment les intégrer à ce document ?
Dans le cadre de son obligation de santé et de sécurité (article L 4121-1CT), l'employeur a une obligation de prévention, c'est-à-dire une obligation de mettre en oeuvre des moyens de prévention visant à éviter la réalisation du risque professionnel (parmi lesquels figure les RPS). Cette obligation de prévention passe nécessairement par une phase d'évaluation des risques professionnels au sein de l'entreprise ➡ évaluation transcrite ensuite au sein du DUER.
Le document unique, est un document généralement présenté sous forme de tableau, lequel fait apparaître le cheminement de l'évaluation du risque :
- une colonne par exemple qui indiquerait le risque identifié au sein de l'entreprise (ici, travailler sur un écran)
- une colonne identifiant la nature du risque ou plus largement le dommage susceptible d'être causé (en matière de temps passé sur les écrans, les salariés sont susceptibles par exemple de développer des TMS - Troubles musculo-squelettiques, des problèmes de vue, des maux de têtes, des problèmes de concentration, mais aussi des RPS dû à l'isolement en télétravail)
- une colonne indiquant les salariés susceptibles d'être concernés (télétravail, salariés ayant des tâches bureaucratiques, etc)
- une colonne évaluant la dangerosité du risque (en l'espèce, sur une échelle de 1 à 5 on pourrait évaluer le risque physique et psychologique à 2 / 5 par rapport à un salarié sur un chantier exposé à un risque de prendre un objet sur la tête à 4 / 5).
- une colonne faisant état des mesures de préventions existantes pour parer la réalisation du risque professionnel (dans notre cas de figure du travail sur écran, une mesure déjà en place dans l'entreprise pourrait être par exemple la possibilité pour le salarié de solliciter du matériel ergonomique)
- enfin, une colonne prévoyant les mesures de prévention qu'il faudrait mettre en place (dans le cas de notre entreprise fictive, elle pourrait par exemple proposer une prise en charge de fauteuils ergonomiques pour les télétravailleurs, ou encore développer des moyens informatiques ou en présentiels permettant d'éviter l'isolement des travailleurs).
Ce dispositif présente divers avantages dont les salariés et les représentants du personnel peuvent s'emparer afin que la santé au travail soit préservée. D'abord, s'il est bien construit, il permet d'éviter le risque professionnel. Il préserve donc la santé des salariés dans le cadre de leur activité professionnelle. Ensuite, parce qu'il s'agit d'une obligation légale de le mettre en place (art. R. 4121-1 du Code du travail), l'employeur peut engager sa responsabilité et être sanctionné s'il ne le met pas en place (1500 EUR d'amende et dommages et intérêts selon R. 4741-1 CT) ou même s'il ne tire pas les conséquences de ce qu'il constate.
Car oui, le document unique peut présenter un atout pour le salarié en cas de réalisation du risque (preuve) ➡ si le risque se réalise, cela signifie que l'employeur n'a pas mis en oeuvre les moyens de prévention qu'il avait identifiés, à tout le moins qu'il a échoué dans l'évaluation du risque professionnel.
Il est important de préciser que l'employeur ne doit pas se contenter de décrire les risques identifiés au sein du DUER. Il doit mettre en oeuvre les moyens de prévention identifiés et mettre à jour le document au moins une fois par an, et en cas d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail.
Pour conclure sur ce sujet, on peut dire effectivement que, dans le cadre de la pandémie actuelle et de l'incitation au télétravail, il est très fortement recommandé voire quasi obligatoire, pour les entreprises, de mettre à jour le DUER en intégrant les problématiques liées au RPS et au télétravail.
Sachez que ce document doit être tenu à la disposition du RP, et plus largement aux salariés, ainsi qu'au médecin du travail. Vous pouvez donc en exiger l'accès pour vérifier sa bonne tenue et la réalité des risques professionnels identifiés au sein de votre entreprise.
Conseilleriez-vous d'inscrire dans l'accord télétravail ou dans la charte télétravail les dispositions prises par l'entreprise dans le cadre de la prévention des RPS ?
Oui. Il y a d'ailleurs quelque chose d'obligatoire en ce sens ➡ l'article l1222-9 CT II, impose comme contenu de l'accord:
- “3° Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;
- 4° La détermination des plages horaires durant lesquelles l'employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail “
➡ qui relèvent clairement d'une démarche de prévention des risques
L'indication de la nécessaire mise à jour du document unique semble aussi procéder d'une démarche intéressante pour les négociateurs. Je vous invite à consulter le site de l'ANACT et le site de de l'INRS, qui peuvent vous aiguiller sur le contenu des accords.
Malheureusement la prévention ne suffit pas toujours… Un bore-out ou un burn-out peuvent-ils être reconnus en tant que maladie professionnelle ?
Oui, les RPS peuvent être reconnus en tant que maladie professionnelle, au titre de la législation des risques professionnels, mais je ne vous cache pas que le chemin est un peu plus long en matière de RPS...
Pour rappel, une MP est une pathologie qui s'est développée par le fait du travail. Typiquement, les pathologies liées aux troubles musculo-squelettiques (de type syndrome du canal carpien de la main) sont les maladies professionnelles les plus fréquemment reconnues.
Classiquement, ces pathologies sont inscrites au sein de tableaux dits de maladies professionnelles. Ces tableaux établissent une présomption d'imputabilité, qui facilite la preuve du lien entre la maladie et le travail. Il existe en tout et pour tout 98 tableaux de MP, fondant les décisions de prise de la CPAM.
Gros bémol en matière de RPS ➡ ils ne font partie d'aucun tableau des maladies professionnelles (pas de présomption d'imputabilité). Une procédure de reconnaissance spécifique existe prévue par l'article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale. Il faut que le RPS (par exemple un syndrome anxio-dépressif) identifié ait causé soit le décès de la personne, soit une incapacité permanente prévisible de 25%.
Concrètement, le taux d'incapacité permanente est évalué par le Médecin-Conseil de la CPAM. Le salarié va donc devoir fournir des éléments médicaux et des précisions quant aux circonstances dans lesquelles la pathologie s'est développée en lien avec le travail (certificats médicaux, certificats de psychologues, de psychiatre...).
Si le médecin-conseil estime que le salarié présente 25% de taux d'incapacité permanente prévisible, le dossier passe devant le CRRMP, c'est-à-dire le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, qui évalue si la pathologie a un lien direct et essentiel avec votre activité professionnelle. Si un tel lien est reconnu, le CRRMP rend un avis favorable à la reconnaissance de la maladie professionnelle, lequel sera suivi par la CPAM.
Quels sont concrètement les intérêts pour le salarié de voir reconnaître une maladie professionnelle au titre des RPS ?
- un avantage financier. Sont pris en charge les frais de santé, les produits, prestations, les frais de transport de la victime de sa résidence habituelle à l'établissement hospitalier, et de façon générale les frais nécessités par le traitement, la rééducation, le reclassement de la victime, la reconversion professionnelle. En cas d'interruption de travail, les indemnités journalières sont prises en charge, puis fixation d'un capital ou d'une rente. Les conséquences financières pour le salarié sont donc importantes.
- Elles peuvent également alimenter un contentieux prud'homal
- Si l'employeur avait connaissance du danger mais qu'il n'a pas mis en oeuvre les moyens nécessaires pour éviter que vous en soyez victime, la reconnaissance d'une maladie professionnelle est également le préalable à la reconnaissance d'une faute inexcusable devant le Tribunal judiciaire
Quels sont les moyens d'action des IRP dans la gestion de ces cas ? Doivent-ils être informés et consultés ?
Oui ! De façon assez générale, les IRP ont un rôle important à jouer en matière de RPS et de télétravail (pas que quand le CSE est face à une situation de risque avéré). L'article L 2312-8 CT énonce une obligation générale d'information consultation du CSE notamment sur les “questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur:
3° Les conditions d'emploi, de travail, notamment la durée du travail, et la formation professionnelle ;
4° L'introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail “;
L'article L 2312-9 CT prévoit des prérogatives spécifiques du CSE en matière de santé sécurité (notamment de prévention des risques).
L'article L 1222-9 CT prévoit que le télétravail résulte d'un accord collectif, auquel cas, la mise en place du télétravail va donc résulter de la négociation entre partenaires sociaux ➡ rôle des IRP est primordial ou d'une Charte, soumise à une information consultation ➡ remise des documents d'informations information-consultation ➡documents transmettant des “informations précises et utiles” (article L 2312-15 CT), au CSE, qui a un mois pour rendre un avis, à compter de la remise des documents.
Dans les moyens d'actions, de façon moins formelle, les recommandations concernant les IRP portent autours de l'élaboration d'un questionnaire qui peut être envoyé auprès des télétravailleurs (que les IRP vont avoir du mal à toucher par définition = isolement), on pense encore à un point à l'ordre du jour du CSE à ce sujet. Et de façon plus formelle et très spécifique, on peut envisager l'expertise pour risque grave ou une procédure de droit d'alerte, en cas de danger grave et imminent ou d'atteinte aux droits des personnes.
Quels recours sont possibles dans le cas où un employeur fait la sourde oreille alors que des élus l'ont alerté sur la détresse d'un salarié ?
L'inspection du travail est compétente pour enquêter, intervenir en cas de manquements supposés ou avérés. Le Conseil de Prud'hommes peut être saisi à la suite d'un droit d'alerte qui aboutirait sur un désaccord avec les représentants des salariés.
Le Tribunal judiciaire pour être saisi pour faire cesser les dommages imminents (ex: arrêt Amazon pendant le confinement, qui a défrayé la chronique = le juge judiciaire met à l'arrêt l'activité d'une société qui ne respecterait pas les injonctions du CSE et de l'inspection du travail, en matière de prévention des risques, Cour d'appel VERSAILLES, 24 avril 2020).
Que nous disent les textes de lois sur les sanctions encourues du manager à l'employeur ?
C'est bien l'employeur qui doit assurer la sécurité à tous les salariés. Le manager peut faire l'objet de sanction disciplinaire s'il n'applique pas les directives de son employeur en matière de santé sécurité. En revanche, ce n'est pas sa responsabilité qui sera mise en cause si c'est l'employeur qui est défaillant (sauf cas très spécifiques de délégation de pouvoirs).
La responsabilité de l'employeur se décline au travers des recours de droit commun ➡ les manquements applicables en matière de non respect de l'obligation de santé sécurité (obligation de moyen renforcée => l'employeur doit pouvoir prouver qu'il a tout fait pour assurer la sécurité des salariés), les sanctions sont variées, elles peuvent entraîner une requalification d'un licenciement pour inaptitude, jugé sans cause réelle et sérieuse en cas de manquement à cette obligation (CPH), entraîner la qualification d'une faute inexcusable (Pôle sociale du TJ), entraîner des contraventions et diverses poursuites sur le terrain pénal (inspection du travail, Procureur de la république, traduit devant les juridictions répressives).
Rédaction Juritravail