En raison de la pandémie de COVID‑19 qui frappe tous les milieux de travail, toutes les entreprises et toutes les organisations ont dû s’adapter rapidement. Le télétravail, lorsque possible, est devenu la forme d’adaptation la plus utilisée par les travailleurs et les employeurs. Sophie Meunier, psychologue et professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), et l’étudiante au doctorat en psychologie Laurence Bouchard évoquent l’importance à accorder à la santé psychologique en contexte de télétravail.

Qu’est-ce qui vous a poussées à vous intéresser à la santé psychologique dans les milieux de travail?

SOPHIE MEUNIER : L’intérêt pour la santé mentale au travail vient d’un constat : un grand nombre de travailleurs vivent avec des problèmes de santé mentale. Beaucoup de travailleurs, tous les jours, se lèvent, vont travailler et vivent beaucoup de souffrance par rapport à [leur santé mentale]. Ils doivent travailler tout en gérant ces problématiques. À cause de la stigmatisation entourant la santé mentale, souvent, les individus n’en parlent pas à leur gestionnaire ou à leurs collègues. Certains vont en parler, mais cela reste une minorité. Mon but est de leur donner des outils pour qu’ils se sentent mieux, mais aussi pour modifier leur environnement de travail et conscientiser leur gestionnaire pour les aider à vivre plus de bien-être et à mieux fonctionner au travail. L’intérêt pour la santé psychologique en télétravail et la gestion à distance vient de Laurence, une étudiante sous ma supervision au doctorat en psychologie.

Laurence Bouchard, étudiante au doctorat au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal
Laurence Bouchard, étudiante au doctorat au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal
Photo : Vincent Girard

LAURENCE BOUCHARD : Souvent, les individus aux prises avec des problèmes de santé mentale se font dire d’aller chercher de l’aide. Oui, bien sûr, un travail individuel est nécessaire, mais des mesures organisationnelles peuvent être mises en place par les gestionnaires s’ils souhaitent vraiment aider les employés à se sentir mieux. L’organisation en bénéficie : les travailleurs sont plus performants et ont une meilleure santé psychologique.

Qu’est-ce qu’un gestionnaire peut faire pour améliorer la qualité de vie des travailleurs qui sont en télétravail?

L. B. : Les études démontrent que, dans un contexte de travail à distance ou de télétravail, il faut instaurer une certaine structure de travail. Les employés et l’employeur doivent définir clairement les rôles, les attentes et les tâches de chacun. Le volet « considération », c’est-à-dire, prendre le temps de s’informer du niveau de confort et de bien-être des employés par rapport aux inquiétudes ou aux préoccupations qu’ils pourraient vivre est également important. Pour le gestionnaire, ces pratiques de gestion et de supervision sont bénéfiques pour aider les employés ainsi qu’eux-mêmes.

S. M. : Certaines pratiques de gestion sont meilleures que d’autres en télétravail, mais les résultats de recherche sont peu nombreux en ce qui concerne le contexte actuel [le télétravail durant la crise de la COVID‑19]. Toutefois, en nous basant sur les études antérieures, dans d’autres contextes, nous pouvons dire que les pratiques de considération et certainement de structure sont deux méthodes qui peuvent aider les gestionnaires et les travailleurs.

Quels sont les moyens qu’un travailleur peut prendre pour être efficace en télétravail?

S. M. : Avant toute chose, il faut dire qu’en ce moment, nous ne sommes pas dans un contexte de télétravail normal. Beaucoup de travailleurs ont des enfants ou un conjoint à la maison. Ils n’ont pas nécessairement un endroit équipé de façon ergonomique pour travailler de la maison. La première étape est de se créer un lieu de travail propice. Pour être efficace en télétravail, il faut essayer de trouver un endroit, comme une pièce fermée, où le travailleur sera bien installé et pourra travailler sans trop d’interruptions. Il faut aussi essayer d’aménager un poste de travail dédié où le travailleur sera en mesure d’adopter une position de travail neutre, plutôt que de s’installer de façon improvisée sur le coin de la table à manger. Ensuite, le travailleur doit organiser une certaine routine de travail. Il doit déterminer les moments dans la journée où il est le plus efficace. S’il a un horaire flexible, il peut favoriser ces moments. Par exemple, les travailleurs qui ont des enfants à la maison peuvent utiliser le temps de la sieste des enfants pour planifier les réunions. Le travailleur doit être en mesure de respecter son horaire et de prévoir des pauses, car, parfois, en télétravail, il peut avoir tendance à travailler plus que ce qu’il fait normalement [au bureau] et prendre une trop grosse charge de travail. Finalement, il doit se fixer des attentes et des objectifs qui sont réalisables en cette période d’adaptation. C’est très important dans le contexte actuel.

Est-ce que la santé mentale a la même importance en télétravail qu’au bureau?

S. M. : Oui. Tout comme au bureau, la santé mentale des travailleurs peut être affectée lorsqu’ils sont en télétravail. Par contre, ce qui est particulier, c’est qu’en télétravail, les travailleurs ont parfois moins accès aux ressources de leur organisation que lorsqu’ils sont au bureau. De plus, le soutien social, qui est toujours un déterminant important du bien-être qui ressort des études [sur le sujet], est plus difficile à aller chercher en télétravail. Un travailleur peut se retrouver avec les mêmes sources de stress et les mêmes demandes qu’il a au bureau, mais il n’a pas accès à certaines ressources habituelles. Donc, la santé mentale en télétravail, c’est d’autant plus important!

Est-ce que la pandémie de COVID‑19 a une influence sur la santé psychologique des travailleurs?

S. M. : Le contexte actuel amplifie beaucoup de choses dans la vie personnelle des individus et il peut avoir un effet négatif sur la santé mentale des travailleurs. Actuellement, ceux-ci vivent beaucoup d’incertitudes et de changements. Les entreprises et les organisations essaient de s’adapter constamment. De plus, il faut ajouter tout le stress entourant la COVID‑19. Donc, tous ces éléments viennent exacerber et amplifier les problématiques déjà présentes dans la vie des travailleurs. Leur santé mentale est un enjeu important en ce moment. D’autant plus en contexte de télétravail. Comme on n’est pas présent au bureau, les collègues ou le supérieur peuvent plus difficilement remarquer si un employé se porte bien ou s’il a besoin de ressources.

Quelles sont les conséquences d’une mauvaise santé mentale au travail?

S. M. : Les conséquences d’une mauvaise santé mentale se manifestent sur le bien-être du travailleur, mais aussi sur son bon fonctionnement au travail. On parle souvent du présentéisme, c’est-à-dire, le fait d’être présent au travail tout en étant malade. Parfois, l’état de santé d’un individu nécessiterait peut-être qu’il soit absent du bureau pour prendre soin de sa santé psychologique. Cela a nécessairement des conséquences sur son fonctionnement habituel. À un plus haut niveau, des conséquences sur l’organisation peuvent survenir.

L. B. : D’un point de vue organisationnel, la performance, l’engagement et la motivation des travailleurs peuvent diminuer.

Quels sont les symptômes qui permettent de reconnaître le début d’un problème de santé psychologique au travail?

S. M. : Les symptômes qui permettent de reconnaître des problèmes de santé psychologique se situent surtout au niveau de l’humeur de l’individu. Les travailleurs peuvent se sentir un peu plus irritables, ressentir du stress ou de la fatigue et avoir des problèmes de concentration. Des symptômes plus physiques, comme la perte d’appétit, peuvent toutefois aussi faire leur apparition. Si un travailleur remarque ces signes, c’est peut-être un indice qu’il est temps d’aller chercher des ressources et de mettre en place des stratégies pour améliorer son bien-être. […] Le plus tôt on réussit à voir ces signes précurseurs, le mieux c’est pour la santé psychologique du travailleur.

L. B. : Un manque d’énergie, une préoccupation ou un désintérêt par rapport au travail sont également de bons indicateurs.

Qui doit parler de santé mentale en télétravail?

L. B. : C’est un travail conjoint. L’employé doit prendre en considération ses besoins, ses inquiétudes et ses préoccupations et en faire part. Encore plus dans le contexte actuel, les gestionnaires doivent ouvrir leurs antennes et aller sonder les travailleurs. Il faut fixer des attentes réalistes, mais, aussi, adapter le travail pour ne pas surcharger les employés.

Quelles recommandations donneriez-vous aux travailleurs?

S. M. : Un travailleur doit être capable d’avoir de la compassion pour lui-même, de se fixer des objectifs réalistes et de dresser les frontières entre le travail et la vie personnelle puisque c’est moins évident lorsque le bureau est à la maison. Le travailleur doit aussi se déconnecter du travail en fin de journée même si l’ordinateur est près de lui. Finalement, malgré l’absence des lieux de travail, il est important, pour la santé psychologique des employés , de rester en communication avec le gestionnaire et les collègues de travail.

L. B. : Il n’y a pas de formule parce que chaque personne a sa propre réalité. Il faut s’approprier des méthodes de travail et faire en sorte qu’elles correspondent à notre situation et qu’elles soient utiles.

S. M. : Pour être efficaces en télétravail, les travailleurs ne doivent pas négliger les moments de pause. Dans une étude qui est sortie dernièrement par rapport au contexte [de la pandémie], les stratégies qui ressortaient comme étant les plus efficaces étaient de faire des activités qui permettent de se déconnecter, de se détacher, de relaxer, et qui procurent du plaisir aux individus. Ces activités contribuent à recharger nos batteries, pour que le lendemain matin, quand le travailleur ouvre l’ordinateur, il soit prêt à commencer la journée.

Nicolas Brasseur

Prévention au travail