[EDITIONS LEGISLATIVES] L'entreprise devra évaluer les risques liés à l'organisation du travail
Tout l'ANI, et rien que l'ANI. Voilà une devise qui résume bien les premiers débats parlementaires autour de la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail. Trois séances ont été nécessaires aux députés pour balayer l'intégralité du texte en commission des affaires sociales. Cette traditionnelle première étape du parcours législatif s'est déroulée dans des conditions un peu particulières. La seule ambition affichée est d'assurer la transposition et la mise en vigueur des mesures souhaitée par les partenaires sociaux, une première pour une proposition de loi.
L'accord national interprofessionnel (ANI) signé entre syndicats et patronat le 10 décembre 2020 a donc guidé les débats. A chaque proposition d'amendement sa question sous-jacente : la modification est-elle ou non dans l'esprit de l'ANI ?
Un exercice "assez ardu", reconnaît Charlotte Parmentier-Lecocq, co-rapporteure de la proposition de loi aux côté de Carole Grandjean. Pour déterminer ce qui peut ou non être intégré à la réforme, les deux députées se sont attachées à cerner le mieux possible les intentions des partenaires sociaux. Quitte à écarter des mesures jugées pertinentes, mais qui viendraient déséquilibrer l'accord trouvé entre représentants patronaux et syndicaux.
Conformément à la volonté des partenaires sociaux, le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) est rénové, et son importance accentuée. Non seulement l'employeur doit transcrire et mettre à jour les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité, mais il doit également conserver les versions successives de ce document. Plus question d'écraser l'ancienne version à chaque mise à jour, l'entreprise doit mettre en place un système d'archivage des textes successifs qui doit être tenu à la disposition des travailleurs et anciens travailleurs. Un décret en Conseil d'Etat fixera la durée et les modalités de conservation et de mise à disposition du document ainsi que la liste des personnes et instances pouvant y avoir accès, précisent les députés.
Par ailleurs, les risques liés à l'organisation du travail sont intégrés à la liste des risques devant faire l'objet d'une évaluation par l'entreprise. Ceci afin de mieux prendre en compte la réalité du travail et la dimension des risques psychosociaux, précise Charlotte Parmentier-Lecocq.
Autre ajout au texte : le document unique sera également un objet de dialogue social. Le CSE sera consulté sur le DUERP et sur chacune de ses mises à jour. Lui et sa commission santé, sécurité et conditions de travail devront également apporter leur contribution à l’analyse des risques professionnels dans l’entreprise.
Le texte ouvre également la possibilité de mettre sur la table le sujet de la qualité des conditions de travail lors de la négociation annuelle obligatoire sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail.
Rien que l'ANI, certes, mais les députés ont également choisi d'intégrer plusieurs précisions inspirées des préconisations du Conseil d'Etat, rendues en début de semaine dernière. Ainsi, sur les recommandations de ce dernier, les rapporteures de la proposition de loi ont souhaité préciser le fonctionnement à venir du passeport de prévention, l’une des innovations fortes de l'ANI. Ce passeport, créé pour chaque salarié, permettra de rassembler les attestations, certificats et diplômes obtenus par le travailleur dans le cadre des formations relatives à la santé et la sécurité au travail.
L’employeur et les organismes de formation alimenteront ce passeport. Le travailleur pourra également inscrire ces éléments dans le passeport de prévention lorsqu’ils sont obtenus à l’issue de formations qu’il a suivies à son initiative. Toutefois, seul le salarié pourra consulter toutes les données du passeport prévention, indique l'amendement des rapporteures. L’employeur n'aura accès, via son interface, qu'aux données qu’il aura lui-même renseignées. Dans un premier temps, le salarié pourra consentir à la consultation d’autres données qu’il souhaiterait porter à la connaissance de son employeur. Par la suite, après évaluation préalable, le dispositif permettrait l’accès des données aux employeurs successifs, toujours avec l’accord du salarié.
Le passeport prévention serait intégré dans le "passeport d’orientation, de formation et de compétences" qui se déploiera à compter de 2021 pour l’ensemble des salariés (article L.6323-8 du code du travail). Les deux dispositifs seraient ainsi rattachés afin de mutualiser les outils développés dans le cadre de "Moncompteformation" par la Caisse des dépôts et consignations.
Les indications du Conseil d'Etat sont également les bienvenues sur le sujet du dossier médical partagé (DMP). Dans l'objectif d’abattre les cloisons entre santé publique et santé au travail, le médecin du travail aura accès au DMP du salarié, selon la volonté des partenaires sociaux. Toutefois, le médecin du travail n'est pas n'importe quel médecin : il a une position particulière dans ses relations avec le travailleur, souligne le Conseil d'Etat. Qu'à cela ne tienne, les députés ont créé un accès spécifique au DMP pour le médecin du travail, conditionné au consentement exprès du travailleur.
Le texte prévoit que le refus du salarié de laisser le médecin du travail accéder à son DMP ne sera pas communiqué à l’employeur. Ce refus ne pourra constituer ni une faute ni un motif justifiant l’émission d’un avis d’inaptitude. Dans le même esprit, l’amendement ouvre l’accès au DMP au seul médecin du travail - lui seul ayant le statut de salarié protégé - et non à l’ensemble de l’équipe soignante.
En revanche, le texte apporte peu d'éclairages sur la définition de l'offre "socle" de services à fournir par les services de santé au travail au profit des entreprises et salariés. Cette mesure décidée dans l'ANI créé une certification attestant que le service de santé au travail remplit les critères de l'offre socle. Pour l'heure, on sait seulement que cette certification conditionnera, pour chaque service de prévention et de santé au travail, l’obtention de l'agrément administratif tous les cinq ans.
La nature de l'offre socle est pour l'instant plutôt floue, les rapporteures promettant davantages de précisions dans la suite du débat lors du passage du texte dans l'hémicycle. La discussion devrait également être ouverte sur l'intégration d'un critère relatif à la protection des données - messagerie, systèmes de conservation des données - dans la certification des services de santé au travail.
La proposition de loi est à nouveau examinée par les députés en séance dès aujourd'hui, et jusqu'à mercredi.