Dans le cadre d’une audience devant le Conseil de Prud’hommes, chaque partie doit prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de ses prétentions [1].
En outre, devant cette juridiction, la règle est que le mode de preuve est libre [2], ce qui signifie que les parties peuvent produire tout mode de preuve tel que des témoignages, des documents, des procès-verbaux d’huissiers de justice, des documents techniques, des rapports d’experts, etc.
La preuve est libre, mais dans certaines limites.
Certains moyens de preuve sont illicites et donc irrecevables. Il en est ainsi des moyens de preuve obtenus grâce à un stratagème [3].
A titre d’exemple, l’installation par l’employeur d’un dispositif, afin de contrôler à son insu les pratiques d’un(e) salarié(e)a été jugé comme procédé déloyal, et partant, un mode de preuve illicite [4].
La loyauté de la preuve est appréciée par les juges du fond.
La Chambre sociale de la Cour de Cassation prêtait une attention particulière à la protection de la vie privée du salariée et veillait à ce que l’employeur n’emploie pas des modes de contrôle ou de récolte de preuve qui y porteraient atteinte de façon disproportionnée :
Les enregistrements clandestins étaient systématiquement écartés des débats :
« Si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps du travail, tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite » [5].
Les fichiers des salariés identifiés comme « privés » ne pouvaient pas être utilisés à leur encontre dans une procédure judiciaire, en application du respect de la protection de la vie privée [6].
Enfin, était jugé comme mode de preuve illicite, les données tirées d’un dispositif d’enregistrement automatisé et non déclaré à la CNIL [7].
Or, récemment et en parfaite contradiction avec ce principe de respect de la vie privée des salariés et de maîtrise de toute atteinte disproportionnée à leurs droits, la Chambre sociale de la Cour de Cassation a récemment jugé :
« L’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi » [8].
Si cette décision semble constituer un recul inquiétant dans la protection de la vie privée des salarié(e)s, son applicabilité aux modes de preuve à l’encontre de l’employeur peut être lue comme source d’espoir, dans la production de preuve de harcèlement moral ou sexuel par les salarié(e)s.
En effet, en application des principes énoncés supra, un(e) salarié(e) ne pouvait, afin de prouver l’existence d’un harcèlement moral ou sexuel, utiliser d’enregistrements effectués à l’insu de la personne enregistrée.
Ce principe ne connaît qu’une seule exception qui est le message vocal, dès lors que la personne intéressée a conscience de l’enregistrement de son message [9].
Si les juridictions sont extrêmement réticentes et qu’en conséquence, les modes de preuve de harcèlement moral et sexuel sont malaisés, la jurisprudence du 25 novembre 2020 autorisant des modes de preuves illicites, permettrait ainsi d’envisager l’utilisation de moyens de preuve illicite qui seraient ainsi recevables.
Depuis plusieurs années, certaines associations comme AVTF (Association Européenne Contre les Violences faites aux Femmes) [10], ou encore le Défenseur des Droits, militent pour que les enregistrements clandestins - jugé illicites par la jurisprudence -, aux fins de prouver l’existence d’un harcèlement moral ou sexuel, soient recevables.
A cet égard, la Cour d’appel de Toulouse a récemment validé la recevabilité d’un enregistrement sonore pourtant réalisé à l’insu de l’employeur, jugeant :
« Elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et l’atteinte à la vie privée de M.X est proportionnée au but poursuivi » [11].
Ainsi, la Cour a considéré que cette preuve était recevable parce qu’elle a été considérée nécessaire aux droits de la défense, en dépit de l’atteinte à la vie privée de l’employeur qu’elle pouvait constituer.
Dès lors, si la décision du 25 novembre dernier concernait les modes de preuve employés à l’encontre des salariés, l’application du principe par analogie et à l’encontre des employeurs, vient renforcer la position de la Cour d’appel de Toulouse, et pourrait permettre une lueur d’espoir dans les modalités de preuve pour les salariés victimes de harcèlement moral ou sexuel.
Cette décision de la Chambre sociale pourrait et devrait finalement encourager les personnes victimes de harcèlement à utiliser des enregistrements clandestins pour pouvoir faire reconnaître ce délit - trop peu souvent reconnu - devant le Conseil de Prud’hommes.