[RESEAU EUROJURIS FRANCE] Ne pas veiller à la santé mentale des salariés peut nuire gravement à l’entreprise !
L’employeur doit veiller à la protection de la santé mentale des salariés. La violation de cette obligation peut entrainer la rupture du contrat de travail aux torts de celui-ci, notamment par la requalification d’une démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par un arrêt du 6 janvier 2021 (Cass. Soc. 6 janvier 2021, n° 19-17.299), la chambre sociale de la Cour de cassation est venue rappeler que le non-respect par l’employeur de son obligation de prévention en matière de santé et sécurité au travail pouvait être sanctionné par la rupture du contrat de travail à ses torts, ouvrant droit à des indemnités au bénéfice du salarié.
Dans cette espèce une salariée demandait la requalification de sa démission en prise d’acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur devant produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La salariée invoquait une situation de harcèlement moral qu’elle imputait à son supérieur hiérarchique et qu’elle avait dénoncée à la suite du refus par son employeur d’une demande de rupture conventionnelle de son contrat de travail.
La Cour de cassation valide le raisonnement de la Cour d’appel qui a requalifié cette démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, en raison du non-respect par l’employeur de son obligation de sécurité à l’égard de la salariée démissionnaire, touchant à la protection de sa santé mentale.
La Cour d’appel, dont l’arrêt était critiqué par l’employeur devant la Cour de cassation, avait préalablement jugé que la démission de la salariée était équivoque. Elle avait constaté pour ce faire que la salariée avait évoqué le matin même de sa démission différents manquements de l’employeur à ses obligations, manquements antérieurs et contemporains de la démission, lesquels étaient rappelés dans la lettre de démission. Son raisonnement est sur ce point validé par la Cour de cassation.
On rappellera que la démission doit être claire et non équivoque et qu’à défaut elle encoure une requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’employeur s’exposant au paiement d’indemnités à ce titre.
La solution n’est pas nouvelle. Lorsque la démission est motivée par un manquement de l’employeur à ses obligations, la requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, suppose la démonstration par le salarié de manquements de l’employeur suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
La Cour de cassation valide également le raisonnement ayant conduit cette démission équivoque à être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse :
« Ayant constaté que l'employeur n'avait pas pris toutes les mesures nécessaires, notamment préventives, pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale de la salariée, la cour d'appel a pu décider que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail. »
L’employeur a donc pu être valablement condamné à payer à la salariée diverses sommes à ce titre (en l’espèce l’indemnité légale de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sommes totalisant plus de 90.000 euros…).
Là encore la solution n’est pas nouvelle, la Cour de cassation ayant déjà eu l’occasion d’affirmer que le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, notamment en matière de harcèlement moral, pouvait ouvrir droit au salarié à une résiliation judiciaire du contrat de travail ou une prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur, dès lors que le manquement reproché empêche la poursuite du contrat de travail, ou encore, comme en l’espèce, à la requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse (v. notamment Cass. Soc. 18 septembre 2019, n°18-15765, publié au bulletin).
Cet arrêt est l’occasion de rappeler que l’employeur est tenu à l’égard des salariés d’une obligation générale de sécurité notamment énoncée à l’article L.4121-1 du Code du travail : « L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »
Cette obligation implique de la part de l’employeur la mise en œuvre de principes de prévention des risques, énoncés à l’article L.4122-2 du Code du travail.
Les mesures à prendre sont donc non seulement curatives mais également et surtout préventives, devant tendre à préserver le salarié de tout atteinte à sa santé physique, à le garder indemne de blessures, maladies ou infirmités, mais également de toute atteinte à sa santé mentale à l’occasion du travail.
Parmi les risques que l’employeur doit prévenir, figurent notamment ceux liés au harcèlement moral.
La difficulté pour l’employeur confronté à la dénonciation d’une situation de harcèlement moral est souvent de démontrer qu’il a mis en œuvre des mesures de prévention adaptées pour éviter ou limiter ce risque (formations, dispositif de détection ou d’alerte, adaptation des conditions de travail, commission ou référent ad hoc, dispositif d’enquête…).
Il doit également face à une telle dénonciation réagir en conduisant une enquête (en y associant le cas échéant le Comité social et économique) et en prenant les mesures appropriées afin de faire cesser la situation et d’en prévenir le renouvellement. Cela peut le cas échéant et notamment passer par l’utilisation de son pouvoir disciplinaire à l’encontre de l’auteur des faits.
C’est à ces conditions que l’employeur peut échapper au risque de condamnations auquel une telle situation l’expose. C’est précisément ce qu’avait jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 1er juin 2016 (Cass. Soc. 1er juin 2016 n°14-19.702) par lequel elle avait estimé que « ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser » .
La condamnation de l’employeur peut être regardée comme d’autant plus cruelle dans l’espèce soumise à la Cour de cassation dans son arrêt du 6 janvier 2021, que le harcèlement moral n’avait finalement pas été retenu par la Cour d’appel. Néanmoins, il peut y avoir une atteinte à la santé psychique du salarié en l’absence d’une situation de harcèlement moral, ce qui était le cas dans cette affaire (dégradation de l’état de santé mentale de la salariée, à la suite du licenciement de son conjoint par l’entreprise).
La prise en compte des risques psychosociaux au travail (stress, harcèlement moral, harcèlement sexuel, violences, incivilités…) est une réalité qui peut se rappeler durement aux employeurs qui n’auraient pas pris soin de les évaluer et de les prévenir.
Le risque de rupture du contrat aux torts de l’employeur n’est pas le seul risque auquel ce dernier s’expose à défaut de mesures de prévention adaptées : risque pénal, reconnaissance de la maladie professionnelle ou de l’accident du travail et reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, droit de retrait du salarié, mise en œuvre de la procédure de danger grave et imminent par les représentants de personnel, expertise à l’initiative du CSE en cas de risque grave, risque réputationnel et dégradation du climat social de l’entreprise…
On ne saurait donc trop recommander à l’employeur de s’appuyer dans l’élaboration de sa politique de prévention sur les compétences de partenaires de l’entreprise et acteurs de la santé au travail : avocats, préventeurs, médecin du travail, CARSAT, CSE / CSSCT…